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Maggie : l'être et le néant

maggie simpson

Autrui – L’existence – Le langage – Le vivant – La conscience


Descartes - Kant - Lacan - Freud - Sartre -




        Maggie est souvent oubliée : oubliée par les fans, oubliée par les personnages. Au point que certains se demandent si elle a un intérêt pour la série. Maggie serait-elle la cinquième roue du carrosse, ou le cinquième doigt de la main ? On pourrait le croire, si on se réfère à son absence de paroles, à son physique ressemblant traits pour traits à Lisa (sur ce point, voir La reine du balai, s21 : Lisa sans ses perles est comme « une grande Maggie »), à sa faible importance dans les scénarii des épisodes. C’est peut-être ce mystère qui rend le personnage si intéressant à analyser. Malgré les apparences, Maggie est essentielle aux Simpson. La famille jaune ne pourrait exister si elle n’existait pas. De nombreuses questions restent en suspens sur ce personnage : Quelle est l’identité de Maggie ? Est-elle un bébé ordinaire ou extra-ordinaire ? Comment est-elle perçue par son entourage ? Est-elle-même simplement un bébé, ou s’approche-t-elle plus de l’accessoire ou de l’animal ? Est-elle comme les autres personnages, la caricature d’un être réel vivant dans notre société ? Maggie a-t-elle un langage ? En quoi les relations qu’elle entretient (ou refuse) ont-elles formé sa personnalité, ses sentiments ? A quoi pense-t-elle et que pense-t-elle des membres de sa famille ? Enfin, Maggie peut-elle exister sans sa tétine ?


L’éducation selon Homer et Marge : entre amour et indifférence...


        Lorsqu’un bébé vient au monde, il accapare généralement toute l’attention de la famille. Tout le monde semble attendri par le visage d’un bébé, les premiers sons qui sortent de sa bouche et attentif à tous ses besoins dès le moindre pleur, particulièrement ses parents. Leur naissance peut parfois être problématique pour les frères et sœurs qui éprouvent de la jalousie envers le bébé, (l’épisode Le premier mot de Lisa, s4, illustre bien ce phénomène, où Bart, qui demande beaucoup d’attention encore aujourd’hui à 10 ans, dit à sa sœur que «C’était bien quand il y avait que moi, maman et Homer. T’as tout gâché ») et souhaiteraient qu’il ne soit jamais né, même des années plus tard. Bref, que ce soit en bien ou en mal, tout le monde s’y intéresse : il devient la nouvelle attraction de la famille.
        Il n’en est rien pour Maggie.
       Maggie ne parle pas. Elle semble être comme un animal dont le cri serait un bruit de tétine (dans L’abominable homme des bois, s1, Homer et Bart croient en l’entendant qu’il s’agit d’un serpent à sonnette) ; à noter dans Qui a tiré sur Monsieur Burns 2ème partie (s7) que la police interroge simultanément le chat, le chien des Simpson et Maggie, Eddie disant à Lou : « laisse béton, ils parlent pas » : la frontière entre les hommes et les animaux est d’ailleurs souvent brouillée dans les Simpson, cf article sur Le vivant). Maggie ne pleure pas (ou très peu) (Comme l’agent immobilière chinoise Cookie le souligne d’ailleurs dans le 500ème épisode : « Quel bébé ne pleure pas !? », en insinuant en quelque sorte que Maggie n’est pas un vrai bébé, mais plutôt un être sans émotions, un robot ou un monstre). C’est à peine si l’on fait attention à elle : Homer en est l’exemple typique. Les gags où Homer oublie l’existence de Maggie sont récurrents. Dans Homer au foyer (s3), lorsqu’il perd le bébé et veut préparer une phrase de consolation pour Marge, voici à quoi il pense : « Écoute Marge, Maggie était toute jeune. C’est pas comme si on avait eu le temps de s’attacher à elle... Non !... euh... Marge, c’est drôle la vie. Un jour ils sont bébés et le lendemain ils volent de leurs propres ailes... ». Le fait de perdre un bébé est déjà la preuve de son manque d’attention, et les réponses qu’il prépare ne font que l’amplifier. Homer ne fait de manière générale guère attention à ses enfants – on pense par exemple au fait qu’il « préfère une bière au titre de meilleur père » (Shary Bobbins, s8), que le ballon de rugby qu’il reçoit d’un joueur de football américain est pour lui un 4ème enfant (Homer aime Flanders, s5), qu’il préfère s’occuper des enfants de sa garderie que des siens, même en regardant une photo d’eux (La garderie d’Homer, s12) – mais c’est encore plus vrai pour Maggie.
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’aime pas ses enfants. Homer est prêt à faire de grands sacrifices pour (acheter) l’amour de ses enfants : il renonce deux fois à son climatiseur pour acheter le saxophone de Lisa, il renonce à son voyage dans le dirigeable Duff, un cadeau auquel il tenait plus que tout, pour permettre à Lisa de s’inscrire à un concours de beauté qui lui redonnera confiance en elle, il trouve un job au Mini-Marché en plus de son travail habituel à la centrale nucléaire pour lui acheter un poney, il fait tout pour retrouver le saxophone de Lisa volé, alors qu’il exècre cet instrument ; il retrouve un travail qu’il déteste à la centrale nucléaire et qu’il devra faire pour toujours, pour avoir suffisamment d’argent pour élever Maggie. Maggie est bien l’unique source de sa motivation à travailler (il a d’ailleurs dans son bureau des photos de Maggie ainsi qu’une plaque où est visible « Do it for her »).
        La relation Homer-Maggie est assez complexe : il y a à la fois de l’indifférence et de l’amour ; deux attitudes paradoxales, mais non contradictoires dans ce cas. De l’indifférence, on l’a vu, d’Homer envers Maggie, mais aussi de la part de Maggie envers Homer : le bébé sait à peine qui est son père, au mieux, il est pour elle une « maman chauve » comme elle le dit (ses babillages sont sous-titrés) dans Million Dollar Papy (s17).
        Et Marge dans tout ça ? N’est-elle pas la mère dévouée qui emporte toujours son enfant partout avec elle ? N’est-elle pas très (trop) attentionnée envers Maggie ? L’amour de Marge pour sa fille est flagrant, et on ne peut parler d’indifférence à son égard, (l’indifférence étant censé être le contraire de l’amour). On peut néanmoins parler d’inattention : dès le générique, Marge est plus attentive à son magazine qu’à son bébé. Elle passe beaucoup plus de temps au ménage et à la cuisine qu’aux soins de son bébé, si bien que Maggie a appris à être presque entièrement indépendante : elle sait par exemple se mettre du talc et changer sa couche toute seule chez Patty et Selma. Marge, comme tous les adultes, ne parvient pas à voir la véritable nature de Maggie, elle reste aveuglée par l’idée qu’elle s’en fait : celle d’un bébé ordinaire, innocent, représentant des idéaux de bien et de beauté.
La complicité entre les deux personnages est néanmoins flagrante, voire effrayante : dans la saison 18, lorsqu’elles jouent à Pictionnary contre Patty et Selma, Marge comprend immédiatement ce que représente chaque dessin de Maggie, même si ses dessins ne ressemblent absolument pas aux concepts exprimés ; elles semblent ainsi plus complices que des jumelles. L’instinct maternel de Marge se révèle également dans Maggie s’éclipse (s20), où, les yeux bandés, elle parvient à retrouver la trace de sa fille ; car « une mère le sait ». Marge et Maggie ne peuvent vivre séparément : même dans le futur (dans les Simpson dans 30 ans), Marge a toujours avec elle la copie conforme de Maggie : Maggie Junior, comme si elle ne pouvait s’en passer. Dans Maggie s’éclipse, Marge refuse de confier son enfant aux catholiques, bien qu’elle soit l’enfant joyau censé amener le bien et la paix dans le monde. Marge est alors loin d’avoir la figure héroïque de la mère du Christ qui laisse son fils sacrifier sa vie pour le bien de l’humanité, elle choisit son propre bonheur, inséparable de Maggie, ce qui est néanmoins compréhensible pour toute mère. Marge et Maggie sont inséparables : Si Maggie mourrait, Marge, ne pourrait le supporter (et vice-versa). Or on a bien vu dans Homer au foyer, ou dans Marge en cavale, que sans Marge comme pilier, la famille s’écroule. Homer avoue lui-même que la chose qu’il est le seul à pouvoir lui offrir, c’est sa « dépendance totale et permanente ». La disparition de Maggie entraînerait donc indirectement la disparition de toute la famille. Maggie est un élément nécessaire à l’existence de la famille Simpson. Comme dans un orchestre où chaque instrument a un rôle à jouer, chaque membre de la famille est unique, mais tous sont indispensables pour former un Tout, une unité.



... qui explique le silence de Maggie

        Dans l’excellent ouvrage The Simpsons and philosophy, édité par William Irwin, Mark T. Conard, Aeon J. Skoble., est rappelé le passage de l’épisode Le foyer de la révolte (s7), où les enfants Simpson sont confiés aux Flanders,
(Bart : J’ai jamais entendu Maggie rire autant !
Lisa : Depuis quand papa ne s’est pas occupé d’elle comme ça ?
Bart : La fois où elle a avalée une pièce, il a passé la journée avec elle.)

ainsi que l’argument de Sartre : « grâce à l’amour et à l’attention des parents, Maggie commence à s’exprimer à travers les mots. Mais quand ils ne reçoivent pas d’affection et de soin, les enfants restent dans le silence, et faute de mots, il est probable qu’ils ne développent pas une grande estime d’eux-mêmes ». Cette observation semble très juste : Ned Flanders joue avec Maggie, ce qu’Homer n’a absolument pas l’habitude de faire.

maggie flanders
        Les premiers mots de Maggie sont soit liés à des situations imaginaires, avec une voix qui n’a rien à voir avec celle d’un bébé (dans Simpson Horror Show V : « en effet, c’est un monde très inquiétant », dans Simpson Horror Show IV : « Bon, très bien ! Je vais conduire ! ... Il me faut du sang ! », dans Manucure pour quatre femmes, s20, où elle joue le rôle de l’architecte de talent Ayn Rand, et débite un discours clair, argumenté, structuré, qui n’a rien à voir avec le discours d’un bébé), soit liés à une situation où Maggie est choyée, dorlotée, soignée. C’est dans Le foyer de la révolte que Maggie dit « Papapidou ». Dans Le premier mot de Lisa (s4), c’est après qu’Homer ait couché et bordé Maggie avec attention qu’elle dit son tout premier mot « Papa ». Dans Un prince à New Orge (s20), les Simpson embauchent une nourrice d’Odgenville, Hinga, qui sait très bien s’y prendre avec les enfants en bas âge : elle comprend tout de suite le problème de Maggie en voyant son air inquiet (des gaz), contrairement à Marge qui interprète cela comme la peur devant une étrangère. Maggie dit alors un de ses premiers mots, en Odgenvillien (c’est-à-dire en Norvégien) : « Ja ».

     Si Maggie ne parle pas, elle a tout de même, comme les muets, un langage. Elle s’exprime soit par écrit, soit à l’aide de gestes, de mimes, soit à l’aide d’images. En plus de ce langage verbal, le langage corporel – dont le rôle communicatif est plus grand que celui du langage verbal - de Maggie s’exprime grâce à un accessoire dont elle ne peut se passer : la tétine. Ainsi, on repère  par exemple le stress de Maggie lorsque le tétage s’accélère.


La tétine comme moyen d’action, de communication, voire d’existence

        La tétine est un élément inséparable de Maggie. Maggie sans sa tétine, comme Marge sans son collier de perle qui lui éraille la voix  tant il lui serre le cou, Lisa sans son saxophone qui est le seul moyen pour elle d’exprimer sa créativité, Homer sans télé ni bière (Horror Show V : « Pas de télé, pas de bière ça rend fou Homer ») : voici des choses impossibles. Le sujet et l’objet ou « attribut » seraient liés de façon nécessaire, de la même façon que Descartes utilise la démonstration ontologique pour prouver l’existence de Dieu dans les Méditations Métaphysiques : l’existence appartient au concept de Dieu (« je ne puis concevoir Dieu sans existence, il s'ensuit que l'existence est inséparable de lui »), la tétine appartient au concept de Maggie et je ne peux concevoir Maggie sans sa tétine.

        La phrase « Maggie a une tétine » (ou « Maggie ‘’est’’ possédant une tétine ») est-elle un jugement synthétique ou analytique ? Maggie est un concept, tétine en est un autre. Tétine est le prédicat dans la phrase. Kant distingue dans la Critique de la raison pure le jugement synthétique (le concept exprimé par le prédicat ajoute des connaissances au concept exprimé par le sujet, par exemple : « tous les corps sont pesants ») du jugement analytique (le concept exprimé par le prédicat ne fait que développer ce qui est inclus dans le concept exprimé par le sujet, par exemple : « tous les corps sont étendus » : l’étendue est comprise dans l’essence de tous les corps). Dire que Maggie possède une tétine est presque un pléonasme. Nous n’apprenons rien de plus sur le concept de Maggie lorsqu’on dit cela ; lorsque l’on évoque Maggie Simpson, on pense directement au personnage avec sa tétine. Maggie sans sa tétine, c’est une Maggie intelligente, qui parle, c’est en fait une Lisa en plus petit, en un mot, ce n’est plus Maggie. Le concept de Maggie ne peut exister sans sa tétine, de la même façon que le concept de corps ne peut exister sans l’étendue. « Maggie a une tétine », dans le cas où « Maggie » représente le concept du bébé non parlant des Simpson, serait donc un jugement analytique. Il arrive néanmoins que Maggie parvienne à ôter sa tétine tandis qu’un corps ne peut ôter son étendue. L’énoncé « Maggie a une tétine », dans le cas où « Maggie » représente un bébé, un individu particulier, est donc un jugement synthétique. 
maggie sans tétine
        Dans Un tramway nommé Marge (s4),  Maggie et tous ses camarades de crèche sont privés de leur tétine par les surveillants. C’est dans cet épisode que l’on souligne sa véritable dépendance à la tétine. D’où vient cette dépendance ? Peut-être du fait qu’elle constitue une excuse pour ne pas avoir à parler... Peut-être aussi parce que la tétine (rappelant le mamelon maternel) comble un manque affectif...
        Dans Séparés par l’amour (s3), Homer, qui a les bras coincés dans deux distributeurs automatiques, s’imagine le mariage de Maggie : adulte, sa fille cadette a toujours sa tétine ! Homer ne parvient pas à s’imaginer sa fille sans sa tétine rouge, et il est difficile pour le téléspectateur de le faire, car elle constitue l’identité de Maggie, du moins l’image qu’il s’en fait. La tétine fait partie intégrante de l’être de Maggie : le cas le plus flagrant se trouve dans A propos de Marge (s17), dans lequel Marge est amnésique. Marge ne se souvient d’aucun membre de sa famille, jusqu’à ce qu’elle entende les fameux deux coups de tétine : l’identité de Maggie est immédiatement révélée à l’esprit de Marge, de la même façon qu’elle se souviendra plus tard d’Homer grâce au mot « bière ». 
        Outre un mode d’expression de l’existence et de l’identité, la tétine est un moyen pour parvenir à des fins : elle sert à attirer la babysitter démoniaque vers la pièce où Bart et Lisa l’attendent pour l’assommer (Une soirée d’enfer, s1), elle permet de faire taire Bart dans Simpson Horror Show IV pour éviter qu’il évoque le diable, elle donne sa tétine à Lisa pour la consoler de la mort de Murphy Gencives Sanglantes (Salut l’artiste, s6), dans Simpson Horror Show XVI, pour retransformer tous les habitants changés en leur costume d’Halloween, Maggie trouve une solution à peu près satisfaisante pour tous (ou moins pire) : les transformer tous en tétines à tête humaine. La tétine est également un moyen de communication : dans L’abominable homme des bois (s1), elle donne sa tétine aux ours pour qu’ils se calment et puissent avoir des échanges avec elle ; dans Rosebud (s5), elle engage les négociations avec Monsieur Burns pour garder ou non le nounours Bobo, en lui proposant sa tétine.
        La tétine est pour Maggie la source du bonheur – si par bonheur nous entendons la définition grecque  d’absence de trouble (ataraxie) – car elle est la solution à tous les problèmes. Lorsqu’elle a la possibilité de faire un souhait, n’importe lequel, dans Simpson Horror Show II où elle tient une patte de singe magique, elle ne choisit pas une grande maison, la richesse, la célébrité ou la paix dans le monde, mais  une nouvelle tétine. A noter dans cet épisode que la patte n’a que 4 doigts, pour 5 personnes, mais que c’est Maggie qui l’utilise en premier, alors que c’est Marge qui n’y a pas droit : ce n’est pas parce que les Simpson ont décidé d’accorder de l’attention à Maggie, qu’ils ont décidé de la laisser exprimer ses désirs, mais parce que le bébé s’est servi tout seul. Mais la tétine est peut-être un bonheur illusoire : elle peut avoir le même effet que certaines substances hallucinogènes illicites, comme on peut le voir dans Allocutions familiales (s15), où des bébés s’échangent une tétine sur une musique hippie et deviennent euphoriques.
        Ces actions témoignent d’une volonté de communiquer avec le monde extérieur, qui est parfois réprimé par la famille, comme si celle-ci ne voulait pas que Maggie s’exprime. Sa créativité est soit simplement ignorée, soit volontairement étouffée. Dans manucure pour 4 femmes (s20), Maggie réalise une excellente reproduction de  La nuit étoilée de Van Gogh (sans modèle !), mais elle est immédiatement coupée dans son élan lorsque Marge s’aperçoit que sa fille peint sur le mur. Il n’est pas rare de voir Maggie s’exprimer également par la musique : personne n’est épaté lorsqu’elle joue l’air de danse de la fée dragée de Tchaïkovsky au xylophone ; pire, lorsque Maggie joue parfaitement du saxophone à la fin de Quel gros Q.I. (s15), Lis, jalouse, lui ôte l’instrument de sa bouche en lui disant « c’est pas pour les bébés ». Dans les Simpson dans 30 ans, Maggie s’apprête à chanter pour le mariage de Lisa : elle est une fois de plus coupée avant même de produire un son, tandis qu’Homer lui reproche de trop parler au téléphone. Dans Lisa s’en va-t-en guerre (s5), Homer ne fait même pas attention au fait que Maggie ait réussi à écrire son nom et prénom sur une ardoise magique. L’idée selon laquelle Homer ne fait absolument pas attention aux actions de Maggie est bien résumée dans Flic de choc (s13) : « Hi hi hi ! On dirait Superman quand il est Clark Kent. Là où il y a de l’action on est sûr de jamais la trouver. »

maggie disparue
        La famille ne veut pas admettre que Maggie ait un langage. Dans la saison 23, Bart dit que Maggie sait garder un secret contrairement à Lisa : il ne se doute pas un instant que Maggie soit capable de transmettre un message sans parler, mais à l’aide de dessins et d’objets, à la manière d’un rébus (« Bart a un problème »).


Un bébé ordinaire ?

        Les actes extraordinaires ou héroïques de Maggie sont très nombreux : en quelques mois d’existence, Maggie a déjà sauvé son père de la noyade, du coup de pistolet de Russ Cargill (directeur de l’Agence de Protection pour l’Environnement dans Les Simpson le film), d’un kidnapping, a empêché qu’une bouteille se fracasse sur sa tête, a fait évacuer sa famille du corps d’un géant au musée, a réalisé un score de 300 au bowling, a réussi à grimper sur le toit d’un magasin avec un cornet de glace géant ressemblant à Marge, a conduit la voiture d’Homer. Elle a tiré sur la bande à Gros Tony, sur Monsieur Burns (intentionnellement ?).
        Bien que Maggie ait vécu pour son jeune âge des choses extraordinaires, elle garde les attributs d’un bébé ordinaire, et notamment la force que chaque bébé possède, celle qui lui permet d’émerveiller chaque adulte qui le regarde. Le sculpteur québecois Roland Delisle (né en 1920) affirme ainsi que : « Comme une rose, un enfant, c'est à la fois fragile et solide ; ça émerveille et ça étonne ! ». Maggie est « un ange avec un fusil », selon l’expression d’Homer (13x22) : en la voyant, les adultes ne se doutent pas une seconde des capacités d’action, de pensée ou de langage de Maggie. Ils ne voient qu’un bébé innocent, pur, qui n’a encore aucune notion du mal, ni une conscience développée du monde qui l’entoure, alors que ce n’est pas du tout le cas de Maggie ! Maggie est également consciente de sa propre existence à l’âge de un an, alors que des psychanalystes comme Lacan montrent que l’enfant ne se perçoit comme unité corporelle et comme moi séparé et différent des autres, seulement vers l’âge de 2 ans (cette dynamique d’identification est  nommée « stade du miroir ») 1. Comment résister au doux visage de Maggie, aux yeux larmoyants du bébé à qui on a volé le nounours Bobo ? Comment utiliser des revolvers, quand Moe tient dans ses bras une arme bien plus puissante : le regard d’un ange (Moe le baby sitter (s14))? Dans Les Simpson le film, les habitants de Springfield veulent attaquer les Simpson y compris Maggie (Krusty demande même à son singe de « zigouiller le bébé »). Par cet exemple, on note qu’on demande à un animal (Monsieur Tiny) – sans conscience morale – d’effectuer cette tâche ingrate : comment un homme doté d’un surmoi dont les frontières sont claires et distinctes pourrait-il tuer un bébé en pleine conscience de ses actes ? Les mères qui tuent leurs enfants font les titres de journaux justement par leur caractère particulièrement cruel et leur absence d’humanité durant un instant de détresse, et par leurs psychoses (c’est-à-dire par une conduite hors de la raison, ou, selon Freud, un flou de la frontière du moi, ou encore une perte de l’épreuve de la réalité interne et externe). 
Identité : de l’objet à l’être cruel et agressif
        Maggie vit dans un climat familial d’indifférence : ses parents la considèrent davantage comme un simple objet que comme un bébé. Cela s’observe dès le premier générique des Simpson : Maggie n’est qu’une marchandise parmi d’autres dans le caddie de Marge, qui est plus occupée à lire un magazine mensuel dédié aux mères qu’à jouer son véritable rôle de mère. Elle ne s’aperçoit ainsi que Maggie est passée à la caisse que lorsqu’elle sort sa tête du sac de provisions. Voici que nous peignons un portrait peu élogieux de la mère de Maggie : bien sûr, les scénaristes insistent davantage sur le fait que Marge et Maggie sont presque physiquement inséparables : l’une ne peut se séparer géographiquement de l’autre ; mais le téléspectateur attentif ne manquera pas les nombreuses négligences de la part de Marge. Parmi ces négligences, qui manifestent une relégation de Maggie au statut d’objet ou de marchandise, nous pouvons citer l’épisode Le vrai descendant du singe (s17), dans lequel Marge s’apprête à jeter une peau d’orange dans la poubelle, et est surprise de voir la tête de Maggie sortir des ordures. Marge est bien sûr choquée sur l’instant, et c’est en général la réaction que chacun gardera à l’esprit pour la juger en tant que mère normale, mais ce que nous ne remarquons pas forcément, c’est le fait qu’elle ne l’en sorte pas, mais va plutôt directement parler à Lisa. Sur le plan de ses priorités, Maggie est au second rang, et doit se débrouiller seule, une fois de plus. Dans chaque cas, le scénario s’oriente de façon à ce que le téléspectateur fasse attention à autre chose. Les négligences d’Homer vis-à-vis de Maggie sont quant à elles nettes et distinctes, c’est ainsi l’occasion de montrer un nouveau défaut à ce chauve obèse et fainéant. On le voit ainsi oublier souvent son nom ou son existence (s7, La mère d’Homer : « Vous voyez ! Ce truc est bourré d’erreurs ! Qui c’est cette Margaret Simpson !? » ; s15, Allocutions familiales, Homer : « -Combien on a d’enfants !? - Marge : 3 ! - Homer : Faux ma vieille !... Oh, ah oui c’est vrai, y a le bébé »); il lui arrive même de faillir s’asseoir dessus.
        Pour en revenir au générique, Maggie semble considérée comme un accessoire (ce qui la rendrait « accessoire » pour la série), une marchandise, c’est-à-dire quelque chose qui peut s’échanger, s’acheter ou se vendre, au prix de 847,63 $ (le prix moyen mensuel d’un bébé aux Etats-unis, à l’époque...). Dans la dernière version du générique, depuis la saison 20, le prix de Maggie a changé : elle ne coûte plus que 243,26 $ (soit environ 191€ en juin 2012): mais ce prix a une autre signification. Dans cette version, le prix des marchandises avant que Maggie ne passe à la caisse, juste après  les céréales de Krusty  le clown(les Frosties Krusty O’s), nous est affiché : 243,26$ également. Maggie serait donc la source d’un doublement des dépenses mensuelles de la famille, ce qui est finalement plus élevé que les 847,63 $ initiaux. Maggie est vue comme un coût financier, mais aussi comme une source d’angoisse pour Marge : le magazine qu’elle lisait dans la première version du générique s’intitulait « Monthly Mom », celui de la dernière version : « Anxious Mother » sur la couverture duquel apparaît une femme très pâle et nerveuse, portant deux bébés (un dans le dos, un sur la poitrine) avec un troisième un peu plus grand devant elle.

prix caisse avant maggie    prix maggie apres

        Si le cadre familial est globalement indifférent à Maggie, l’ensemble de la société Springfieldienne l’est aussi. Lorsque Maggie est au sein de sa famille, on ne voit presque jamais les habitant de Springfield s’extasier, s’émerveiller devant la beauté de Maggie, lui faire des grimaces ou des chatouilles. Ce n’est que lorsqu’elle est confiée à d’autres qui en ont la charge, comme Ned Flanders, ou Moe Scyzlack que les habitants y font vraiment attention. Certains personnages soulignent même son absence d’innocence ou d’âme, et la considère davantage comme un être adulte mauvais plutôt que comme un bébé ; comme Monsieur Burns lorsqu’il découvre que c’est Maggie qui a tiré sur lui (1er épisode de la saison 7), veut que Maggie soit arrêtée et condamnée pour tentative de meurtre, ou dans le 500ème épisode, le fait que Maggie ne pleure jamais.
Si l’environnement social dans lequel vit Maggie ne la considère pas comme un bébé humain, il y a de grandes chances que Maggie développe des attitudes confirmant cette image : de la cruauté, des pulsions meurtrières, une absence de langage. "Traitez un homme comme un chien et il deviendra un loup" : ce dicton s’applique bien à Maggie Simpson : à force de négligence, elle finit par s’écarter de la société au lieu de s’y insérer comme elle le devrait. Maggie ne s’entend pas avec les autres bébés, elle est souvent en situation conflictuelle avec les autres.
        Sartre montre qu’autrui est un élément structurant de l’identité : je suis comme autrui me perçoit, car autrui me révèle à moi-même comme objet, me fait accéder à la reconnaissance de moi comme ego. Il affirme ainsi :
« Or autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même : j’ai honte de moi tel que j’apparais à autrui. Et, par l’apparition même d’autrui, je suis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme sur un objet, car c’est comme objet que j’apparais à autrui. [...] la honte est, par nature, reconnaissance. Je reconnais que je suis comme autrui me voit. […] La notion même de vulgarité implique d’ailleurs une relation […]. On n’est pas vulgaire tout seul. Ainsi autrui ne m’a pas seulement révélé ce que j’étais : il m’a constitué un type d’être nouveau qui doit supporter des qualifications nouvelles. » L’être et le néant
Des études montrent que l’absence d’attention et de communication du cadre de vie d’un être vivant ont des effets néfastes sur cet être tels que l’agressivité. Le docteur Gérard Leleu l’affirme par exemple dans Le Traité des caresses :
        « D’autres expérimentateurs s’intéressant aux rats ont montré que les animaux caressés sont détendus, calmes, souples, confiants et même audacieux, leur apprentissage est meilleur, leur croissance plus rapide, leur résistance aux affections plus grande, leur cerveau plus lourd. Par contre, les rats recevant les soins minimaux dans la stricte indifférence sont tendus, agités, craintifs et agressifs. »
        L’écrivain français contemporain Bernard Werber ajoute : « Les bébés ont besoin de communication pour survivre. Le lait et le sommeil ne suffisent pas. La communication est aussi un élément indispensable à la vie » (Encyclopédie du savoir relatif et absolu).
De l’agressivité, Maggie en a à revendre. Avez-vous déjà vu un bébé faire cette tête-ci, parce que vous aviez changé de chaîne tv ?

maggie énervée

        Dans Coup de poker (s15), Bart lit à Maggie un livre animé censé aider les enfants à gérer leurs émotions lorsque leur père part en prison. Lorsque Bart tire sur une des languettes du livre pour faire brûler le personnage (« papa est en flammes »), Maggie est beaucoup plus heureuse lorsque son père brûle que lorsque « papa est pas en flammes ». Les fois où elle s’apprête à user de la force pour résoudre un conflit ne se comptent plus, du biberon en verre cassé pour attaquer Monsieur Tiny, au séjour à The Outlands (s23) où elle tient une arme avec des piques, en passant par la fois où elle se bat au parc devant le bar de Moe pour sauver son père, lui-même battu par un bébé. Et n’oublions pas le tir sur monsieur Burns ! L’agressivité de Maggie est comme nous l’avons vu le résultat du contexte social et familial, mais aussi celui d’émissions télévisées telles qu’Itchy et Scratchy, qui conduit par exemple ‘’une enfant innocente’’ à taper sur la tête de son père avec un maillet (Tous à la manif, s2). 
        Dans un tel contexte, comment Maggie peut-elle espérer devenir une bonne personne en grandissant ? Comment peut-elle construire son identité ? Qui peut-elle prendre comme modèle ? Maggie cherche diverses attitudes à reproduire, diverses personnes à imiter : que ce soit Itchy et Scratchy pour les attitudes violentes, ou pacifiques (Tous à la manif, s2), Lisa pour son intelligence (Quel gros Q.I., s15), Homer pour ses prouesses au bowling (Homer perd la boule, s11), ou Bart pour ses bêtises et son penchant pour les armes. Curieusement, Maggie ne cherche pas à imiter la personne avec qui elle passe le plus de temps, et qui semble être le personnage le plus équilibré, le plus « normal » de la famille : sa mère. Peut-être ne veut-elle pas s’identifier à une personne elle aussi ignorée par le reste de la famille et aux yeux de la société, peut-être que Maggie ne souhaite pas prendre pour modèle une ‘’desperate housewive’’...
   


        Si la plupart des téléspectateurs voit le bébé Simpson comme un personnage accessoire, ceci est donc dû au contexte social et familial qui ne veut pas la laisser s’exprimer, alors que celle-ci manifeste un besoin de reconnaissance, elle veut communiquer, entrer en relation avec autrui et plus généralement, exister. Sartre dans L’être et le néant nous montre que l’homme est « à la recherche de l’être » (comme l’indique le titre de l’Introduction) pour échapper à son propre néant (cf texte Le Garçon de café), et l’homme est un être-pour-autrui. Qui peut se résigner à n’être rien ?! Maggie veut exister aux yeux de sa famille, de la société, et des téléspectateurs. Soyons donc attentif à Maggie, laissons-la exister, et peut-être qu’un jour elle se décidera à parler pour de bon !



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1 http://www.passerelles-eje.info/glossaire/definition_11_stade+miroir.html