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Lisa la ''philosophe-reine''

lisa simpson


Platon – Descartes – Jung - Nietzsche – Machiavel – Mill – Sartre – Sen - Sun Tzu

La vérité – la religion – la morale – théorie et expérience – le bonheur – la liberté – le devoir – la société

 

Les épisodes qui parlent de Lisa Simpson ont souvent ''un réel but moral ou philosophique'': l'ancien scénariste David S. Cohen l'affirme lui-même. Alors que Lisa n'était au départ qu'une copie féminine de Bart l'enfant espiègle, elle s'est vite transformée au cours de la série en un personnage beaucoup plus riche sur les plans spirituel, moral, psychologique et intellectuel. La transformation commence réellement dans Ste Lisa Blues, saison 1: on y découvre une enfant dépressive, trop préoccupée par les problèmes de faim dans le monde et par des questions sur son existence pour pouvoir jouir de la vie. Peu à peu, Lisa affiche ses convictions politiques (elle soutient les démocrates, souhaite la libération du Tibet; elle est, selon M. Burns, une ''tordue de gauchiste''), idéologiques (féminisme, écologisme, végétarisme, protection des animaux, égalité), religieuses (elle suit d'abord les enseignements du protestantisme (presby-luthéranisme) avant de se tourner vers ceux du bouddhisme). Un profil qui ne nous laisse pas imaginer qu'il s'agit d'une petite fille de huit ans. Même le maire Quimby ne s'en est aperçu que durant la saison 22: avant cela, il pensait qu'il s'agissait simplement d'une personne de petite taille! Le temps d'un épisode, Lisa a même réussi, grâce à son niveau intellectuel, à se faire passer pour une étudiante à l'université de Springfield.

Lisa a parallèlement quelques activités d'enfants: elle joue à la poupée Malibu Stacy, regarde Itchy et Scratchy (et les Joyeux petits Lutins dans les premiers épisodes), rit des blagues au téléphone de Bart, connaît quelques idylles avec des garçons d'à peu près son âge: Ralph, Nelson, Collin, Milhouse, Télionus, se chamaille avec son frère pour des broutilles etc. Mais ce côté du personnage se développe à un rythme beaucoup moins rapide que son côté spirituel, et même lorsqu'il se développe, ce n'est que pour souligner son caractère à forte valeur intellectuelle. Nous voyons par exemple que la sortie de la 1ère Malibu Stacy qui parle n'est pas simplement l'occasion de montrer que Lisa est une petite fille qui joue à la poupée, mais surtout l'occasion d'entrer en guerre contre les propos sexistes des fabricants. Nous voyons également que Lisa renonce à son amour éphémère avec Telonius (de l'école de Springfield ouest) pour se consacrer à la science – car on ne sacrifie pas sa carrière par amour. Lisa est donc loin d'être hypocrite, elle met en application ses idées et affronte l'opinion commune souvent à l'encontre de ses propositions. Elle se confronte à la dure vérité au sein de la population, loin de rester isolée dans sa tour d'ivoire. Lisa joue ainsi le rôle du philosophe déjà prôné par Platon, et plus tard par les philosophes des Lumières: celui de rechercher la Vérité, et d'éclairer le peuple contre l'obscurantisme. De quelle philosophie est-elle la plus proche? Si ses idéaux sont en apparence contre les idées de Nietzsche et s'approchent de ceux de Platon, nous pouvons trouver certains points communs avec le premier. Malgré ses efforts, pourquoi n'atteint-elle pas ces idéaux, pourquoi ne parvient-elle pas à diffuser la vérité à Springfield?

  1. Lisa est-elle platonicienne?

1.1. Amour de la Vérité

Lisa, comme le philosophe-roi que défend Platon dans la République, fait le sacrifice de sa personne au nom de la vérité. Lisa est prête à sacrifier son bonheur personnel pour la chercher et diffuser ses idées. Elle est par exemple prête à se faire haïr de la ville en disant que Jebbediah Springfield était un imposteur (Le vrai faux héros, s7). Socrate lui, est prêt à avaler la cigüe, donc à sacrifier sa vie corporelle, au nom d'un combat pour la vérité. Dans ces deux cas, le peuple ne croit pas les propos tenus parce qu'ils énoncés de façon trop brutale. Grâce à l'allégorie de la caverne de Platon, nous comprenons qu'une personne qui était prisonnière de ses illusions (telles que croire que le fondateur de la ville était un vrai héros), ne doit pas être libérée de ses chaînes et aller vers la lumière trop brutalement (la vérité, c'est-à-dire, que c'est un imposteur), auquel cas elle risque d'être aveuglée, et de ne plus rien voir.

La seule véritable intellectuelle de la famille a des idéaux similaires à ceux de Platon: le Bien, le Beau, le Vrai. Selon Platon, il ne faut pas enseigner ce qu'est le Beau, le Vrai et le Bien comme de simples données ou des normes sociales, mais il faut éduquer chaque personne à trouver par elles-mêmes ces réalités. Il affirme: ''Prenez garde, Athéniens, que la difficulté n’est pas d’échapper à la mort, mais de ne pas commettre le mal; et le mal est plus vif que la mort ».(Apologie de Socrate, 39a). Et c'est peut-être là que Lisa échoue dans son projet didactique: elle pose et veut imposer directement ses visions personnelles du beau, du vrai, du bien. A l'échelle Springfield, nous remarquons ce phénomène dans l'épisode Les Gros Q.I. (s10).Dans cet épisode, l'élite intellectuelle de la ville prend le pouvoir à la place du maire, qui a fui la ville. S'en suit une série de changements plus ou moins radicaux. Platon y verrait le régime politique idéal, à savoir, celui d'une aristocratie constitue de philosophes. L'ennui, ici, c'est que les philosophes de Springfield n'adoptent pas la même attitude que celle qu'il prône. Le vendeur de BD, Skinner, le professeur Frink, le docteur Hibbert, Lindsey Neagele (Cathy Blackman), et Lisa, ne prennent pas en compte l'opinion des autres habitants, et imposent les seules idées qui comptent pour eux, certaines d'entre elles étant totalement farfelues dangereuses et/ou irréalistes (le droit de s'accoupler une fois tous les 7 ans, la suppression des feux verts pour que les conducteurs accélèrent leur démarrage face au feu orange...). Le résultat est désastreux pour Springfield, et la foule fait vite connaître son mécontentement.

En ce qui concerne le but de vérité, Platon et Lisa ont certains points communs, notamment la volonté de lutter contre le sophisme (et la corruption), et apprendre à aller au-delà de l'opinion populaire lorsque c'est nécessaire. Ils partagent également un goût prononcé pour les raisonnements logiques.

Lisa : Ce n’est pas vrai ! Primo, avant tout, Milhouse est tombé parce que tu lui as fait un croche-pied ! Secundo, « débile » est la contraction de « débile mental », ce qui est un cas pathologique et non une insulte ! Tertio, tes « Ha, ha » que tu utilises trop ont perdus leur pouvoir !
Nelson : Waaaw ! Je m’incline devant ta logique.
(s21, l’œil sur la ville)

Platon considère que la voie du philosophe est la seule qui permette l'accomplissement et l'épanouissement intégral de l'être humain. Cette voie ne consiste pas à réprimer tout plaisir corporel et à vivre uniquement pour ses idées sans se préoccuper de son estime personnelle: les plaisirs peuvent être poursuivis s'ils ne dominent pas la vie, les honneurs peuvent être acceptés s'ils sont mérités. Ainsi, il arrive à Lisa d'accepter certains plaisirs comme regarder Itchy et Scratchy, jouer à la poupée, débuter une collection de pins (qui tournera vite à la passion, et même à l'obsession), remplir des grilles de mots croisés, d'apprécier les compliments qu'on lui fait sur son intelligence, de rechercher les honneurs auprès de ses professeurs ou de la ville, mais ces plaisirs sont brefs et sporadiques.

1.2. Maïeutique contre dogmatisme

Si les objectifs poursuivis par Socrate et Lisa semblent identiques, leurs méthodes diffèrent : Lisa ne procède pas de la même façon que Socrate pour atteindre la vérité. Généralement, Socrate a recours au dialogue. Il amène son interlocuteur à découvrir lui-même la vérité grâce à des raisonnements logiques. Il parvient ainsi à démontrer des propriétés géométriques à un élève sans ne rien lui apprendre de nouveau par rapport à ses connaissances antérieures. C’est une méthode nommée la maïeutique, terme employé pour les sages-femmes qui font accoucher d’enfants, là où Socrate fait exprimer (accoucher) des connaissances. Il n'énonce pas une vérité en demandant à l'autre de le croire, bien au contraire, il a pour habitude d'affirmer qu'il ne sait que peu de choses. D'où la fameuse citation: “je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien”. Lisa au contraire pense détenir le savoir absolu et a du mal à accepter la contradiction ou le débat. Les choses doivent être telles qu'elle les énonce et pas autrement. Si elle décide de devenir végétarienne, tout le monde devrait en faire autant, et s'ils ne le veulent pas, il faut user du mal contre le mal. Si elle pense qu'il faut stopper toute pollution dans le lac de Springfield, et que les habitants refusent, elle sert dans leur gobelet ''de la bonne eau du lac''. Avec cette attitude, Lisa ne doit pas s'étonner que Mlle Hoover ait écrit sur son dossier scolaire ''Lisa est une élève brillante avec une légère tendance au je-sais-touisme'', ou que plusieurs personnes la considèrent comme une ''Mademoiselle je-sais-tout'' ou ''mademoiselle parfaite''. Nous sommes ainsi au parfait opposé du fameux ''tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien'' de Socrate. Cette attitude est en partie responsable de son incapacité à diffuser ses idées. John Stuart Mill, dans le chapitre 2 De la liberté, souligne l'intérêt de la dialectique socratique, et nous explique qu'il est nécessaire de connaître autant, sinon davantage, les causes de son adversaire que les siennes (il reprend l'exemple de Cicéron, qui excellait en cette matière). Ce que Lisa ne fait pas : elle ne cherche pas à comprendre pourquoi les Springfieldiens agissent de telle ou telle façon. Mill nous indique ainsi que ''la vérité dépend d'un équilibre à établir entre deux groupes d'arguments contradictoires''. Pour gagner sa guerre pour la culture, la démocratie, l’écologie, le féminisme, etc, nous pourrions conseiller à Lisa de suivre les enseignements de Sun Tzu dans l’art de la guerre : ‘’Si vous connaissez vos ennemis et que vous vous connaissez vous-même, mille batailles ne pourront venir à bout de vous’’.

Lisa n'est donc pas totalement une platonicienne pure et dure. Mais est-elle pour autant adepte de la philosophie de Nietzsche, ce philosophe qui veut anéantir la domination totale de l'héritage platonicien et chrétien?

  1. Lisa est-elle nietzschéenne?

2.1. Des idéaux en apparence contre les idées de Nietzsche

Lisa a des idéaux qui semblent s'opposer à ceux de Nietzsche. Parmi ces idéaux, nous pouvons citer la vision du féminisme, là où Nietzsche a tendance à faire l'apologie de la virilité. Nietzsche emploie des expressions radicales pour désigner les femmes : ‘’Tu vas voir les femmes ? N’oublie pas ton fouet !’’, ‘’la femme, le jouet le plus dangereux’’, ‘’la femme est la seconde faute de Dieu’’, mais aussi ‘’le bonheur est une femme’’: si certains considèrent Nietzsche comme misogyne, d’autres le voient plutôt comme un antiféministe mais adorateur de la femme. Lisa quant à elle fait connaître ses opinions sur la place de la femme dans la société à de nombreuses reprises. Elle lutte farouchement contre l'image de la femme au foyer typique de la publicité des années 50 et 60 aux Etats-Unis, qui reste à la maison à s'occuper du ménage, du linge, de la cuisine et des enfants, et qui dépend financièrement (et psychologiquement) de son mari. Autrement dit, elle ne veut pas que son futur ressemble à la vie de Marge, et ne veut pas qu'on inculque cette image aux jeunes filles aujourd'hui. Celle-ci a en effet été éduquée selon les valeurs de ces décennies, que ce soit chez elle où sa mère lui apprend qu'il faut sourire pour être appréciée, peu importe ce qu'on pense au fond, qu'il faut se pincer les joues pour être séduisante et non se mettre du far, ou au camp de vacances où elle a rencontré Homer pour la première fois, où on lui apprend à marcher, parler et tenir l'alcool ''comme des dames''. Nous voyons ce rejet du mode de vie de sa mère dans l'épisode Pas comme ma mère, (s22), dans lequel Lisa découvre que Marge était autrefois une très bonne élève, avant de rencontrer Homer et que ses résultats dégringolent. Elle exprime alors son désir de ne pas se contenter d'être comme sa mère, et lui explique qu'elle a besoin de plus. La vision que se fait Lisa de la femme actuelle est celle d'une femme indépendante, libre et créative. Or la vie de Marge, selon Lisa est tout le contraire. Elle n'est pas indépendante financièrement puisqu'elle n'a pas d'emploi stable, mais surtout elle est prisonnière d'une morale chrétienne qui lui a été imposée, d'une éducation qui l'a condamnée au glass ceiling (plafond de verre*), d'une famille qui l'empêche de faire des folies, et ses tâches ménagères ne laissent aucune place à la créativité. Dans le flic et la rebelle (s3), un TOC (pas un trouble obsessionnel compulsif mais un Test d'Orientation de Carrière) lui révèle qu'elle deviendra plus tard femme au foyer. Lisa est dévastée et se rebelle contre la vie et tout ce à quoi elle croyait. Marge tente de lui remonter le moral en voulant lui montrer qu'on peut aussi exprimer sa créativité dans les tâches ménagères: elle a par exemple fait ''une jolie tête de bonhomme'' avec les œufs et le bacon du petit déjeuner pour Homer et Bart; mais la tentative de Marge est vaine: ''tu parles ils le remarqueront même pas'' déclare Lisa, et à juste titre. Les deux garçons engloutissent leur petit déjeuner sans le moindre signe de reconnaissance ou de remerciement.

Lisa semble donc en totale opposition avec l'idée que des filles et des femmes aient pour modèles Martha Stewart ou Bree Van de Kamp**. Pour lutter contre la poupée Malibu Stacy qui ne dit que des propos dignes d'une bimbo, du type ''trop réfléchir ça donne des rides'', ''allons acheter du maquillage pour plaire aux garçons'', ''il faut enseigner le shopping à l'école'', ''ne me demande pas ça, je ne suis qu'une fille'', Lisa crée une poupée digne d'être un modèle pour les petites filles de sa génération (Lisa s'en va-t-en guerre, s5). Quel est ce modèle? Une poupée qui ''aura l'intelligence de Simone de Beauvoir, la fantaisie de Whoopi Goldberg, la ténacité de Margaret Thatcher, la grandeur d'âme de Soeur Theresa. Et pour couronner le tout, la beauté simple et sans phare d'Eleanor Roosevelt''. Le modèle féminin repose donc avant tout sur la beauté intérieure et spirituelle (et non sur une beauté superficielle), mais elle joue également le rôle du philosophe luttant pour la justice:

«[Elle lit la plaque sur le mur du Winifred Howe Mémorial] "Je balaierai votre maison quand vous aurez balayé les inégalités dans la législation du travail." Ça c’était une femme !» (Lisa va à Washington, s3).

Dans Lisa la reine du drame (s20), Lisa et sa nouvelle amie Juliet créent un roman racontant la vie d'un royaume imaginaire qu'elles jugent parfait. Ce monde s'appelle ''Equalia'', ''où tout le monde est égal''. L'égalité est donc un idéal pour Lisa, qui défend les droits de l'homme. (Déclaration des droits de l'homme: ''tous les hommes naissent libres et égaux en droits''). Mais elle ajoute: ''Mais c’est nous qui dirigeons… Je veux dire… Il faut bien que quelqu’un le fasse, hein pas vrai ?…'' Lisa ne peut s'empêcher de jouer l'une des philosophe-roi. Elle nuance donc la notion de démocratie (régime imparfait selon Platon, fondé sur l'égalité) en s'autoproclamant élite du gouvernement, mais nuance également le régime idéal de Platon: une aristocratie constituée de philosophes (en grec : aristos : meilleur, excellent, et kratos : pouvoir, autorité. - gouvernement des meilleurs – comprendre ici que les meilleurs ne représentent pas une caste, ni des nobles, mais une élite intellectuelle) car elle y ajoute l'égalité. Platon estime que le régime idéal n’est pas la démocratie, car ce régime confie le pouvoir à des personnes qui n’en sont pas dignes, mais un régime aristocratique où les plus éclairés possèdent le pouvoir. La démocratie est, tout comme la timocratie (régime fondé sur l’honneur), l’oligarchie (fondé sur les richesses), et la tyrannie (fondé sur le désir), un régime imparfait.

Enfin, notons que le rapport de Lisa aux personnes dites ‘’faibles’’ est différent de celui de Nietzsche. En effet, le philosophe allemand affirme dans l’Antéchrist: « Périssent les faibles et les ratés : premier principe de notre amour des hommes. Et qu'on les aide encore à disparaître ! ». Dans un esprit darwinien, Nietzsche nous invite à nous surpasser, à ‘’sur-vivre’’, à devenir un ''surhomme''. Lisa quant à elle se préoccupe du bien-être des personnes âgées, à la sauvegarde des animaux en voie des disparition, à l’intégration des personnes en situation de handicap, et s’approche ainsi de la philosophie d’Amartya Sen. Ce dernier fonde son idée de la justice sur la notion de ‘’capabilités’’ (ou possibilités): les personnes invalides ou fragilisées ont de plus grands besoins que les autres, c’est pourquoi il ne faut pas leur donner les mêmes moyens que les autres, mais davantage de moyens. En ce sens, Lisa est plus proche de la philosophie rousseauiste qui nous invite à la compassion, à la pitié envers les pauvres, les défavorisés, les malheureux etc.

2.2. Des points communs avec Nietzsche

 

Nietzsche présente deux formes de nihilisme:

  • un nihilisme passif, qui correspond au fait de penser que rien n'a de valeur, de se résigner devant la vacuité et la morbidité du monde, ou simplement de poser un voile sur la réalité en se berçant d'illusions
  • un nihilisme actif, constructif, qui consiste à détruire les anciennes valeurs pour créer de nouveaux fondements: il s'agit d'une transvaluation des valeurs.

Nietzsche s'oppose au premier, qui n'est pour lui qu'un signe de faiblesse, ou de déclin et de régression de l'esprit, tandis qu'il considère le second comme signe de puissance accrue de l'esprit. Alors que Bart est un nihiliste passif (cf article sur Bart), le nihilisme de Lisa est bel et bien actif. En effet, Lisa ne veut pas simplement détruire nos us et coutumes, mais propose une nouvelle vision du monde, grâce à des solutions écologiques et créatives. Elle n'est pas du genre à balayer la vérité sous le tapis (sur ce point, Marge a bien su l'éduquer à son image), à faire comme si tout allait bien alors que la réalité est toute autre. Il lui arrive parfois de tomber dans le nihilisme passif, comme dans Ste Blues Lisa (s1) où elle ne pense qu'à se résigner sur son sort et l'état du monde sans faire en sorte que cela change*****; dans Le flic et la rebelle (s3), ou dans La malédiction des Simpson (s9), dans lequel elle sombre dans le désespoir en apprenant que, comme tous les Simpson, ses facultés intellectuelles déclineront à partir de l'âge de 8 ans. Mais ces cas restent assez rares, en particulier durant les dernières saisons. Lisa a plutôt l'habitude de lutter contre l'état actuel de la société, dominé par l'esprit capitaliste et anthropocentrique, et de proposer de nouvelles solutions. Par exemple, elle apprend aux habitants de Springfield à faire un tri sélectif des déchets, elle lutte pour la protection des animaux (et défend donc une autre valeur: celle du droit à la vie) même ceux qui sont jugés comme détestables, nuisibles, l'exemple le plus fort étant la protestation de Lisa contre le jour de la raclée, ce jour où les serpents (l'animal mauvais, menteur, manipulateur par excellence dans la Bible) sont cruellement attaqués. Si Nietzsche défend la vie elle-même, Lisa défend plutôt un droit à la vie.

Lisa affronte la vérité, même si elle est difficile à assumer. Il est difficile de voir qu'à Springfield 13 noms de magasins commencent par le mot ''sexe'' et qu'il y a 32 bars et 7 centres commerciaux mais pas un seul théâtre ni orchestre symphonique. Difficile également de voir que la centrale nucléaire crée des poissons mutants à trois yeux, de voir que le maire ou la justice est si facilement corrompue, ou d’admettre que les Springfieldiens sont fiers d’être les plus gros du monde. Lisa joue le rôle du philosophe tel que Nietzsche le conçoit: celui qui met en actes ses pensées pour faire progresser l'humanité, qui ose se mouiller, et non rester confortablement installé dans ses préjugés, dans les concepts qu'il prend pour acquis. Finalement, Nietzsche et Lisa ont tous deux pour objectif de faire faire des progrès à l’humanité.

Comme Nietzsche, Lisa s'oppose en partie à certaines théories cartésiennes, notamment celles qui concernent la place de l'homme dans la nature. Selon Descartes, l'animal n'est rien de plus qu'une machine créée par l'univers: il n'a pas de sentiments, ne ressent pas la douleur ou le bien-être. Lisa suit la lignée de nombreux philosophes ou génies végétariens, comme Pythagore, Platon, Plutarque, Newton ou... Nietzsche. Ce dernier et Lisa s'opposent à cet ''animal-machine'', et mettent en application cette idée en adoptant un régime végétarien. Voici ce que Nietzsche nous dit à propos du végétarisme:

« Toute la philosophie antique était orientée sur la simplicité de la vie et enseignait une certaine sobriété. De ce point de vue, le peu de végétariens par philosophie ont fait plus pour l’humanité que tous les philosophes modernes et tant qu’ils n’auront pas le courage de chercher un mode de vie totalement différent et de l’indiquer comme exemple, ils ne porteront aucun fruit. »

En promouvant le végétarisme, Nietzsche cherche à valoriser le courage de vivre d'après ses propres convictions, le courage étant une caractéristique de l'Übermenschen (''surhomme''), et non de vivre dans l'hypocrisie (l'hypocrite étant celui qui ne met pas en application ses idées, ses principes). Lisa quant à elle affiche constamment sa préoccupation pour le bien-être des animaux. Elle décide de devenir végétarienne dans la saison 7 (Lisa la végétarienne) après avoir vu un adorable petit agneau dans une ferme qu'elle ne voudrait pas tuer, et incitera dès cet épisode son entourage à ne plus manger d'animaux. Elle gâche ainsi le barbecue d'Homer en volant le cochon qu'il avait préparé. Dans d'autres épisodes, elle lutte contre ''La bouillie de la p'tite Lisa'' (bouillie fabriquée à 100% d'''animaux recyclés'' par l'entreprise de Monsieur Burns); jette du sang sur les personnes de ''Chic animaux'' pour protester contre le commerce de fourrures, protège les serpents contre les pratiques barbares des Springfieldiens le jour de la raclée.

Descartes considère de plus que l'homme est ''maître et possesseur'' de la nature, parce qu'il peut agir sur elle grâce à sa raison. Selon lui, la nature a été créée pour servir l'homme, comme l'esclave sert le maître. Lisa n'est pas de cet avis, elle considère au contraire que l'homme a une responsabilité envers la planète, suivant le courant philosophique écologique actuel****, ou suivant la célèbre citation d'Antoine de Saint-Exupéry: « La terre ne nous appartient pas, nous l'empruntons à nos enfants ». Alors que la culture des pays développés se caractérise par une domination de l’homme sur la nature, héritée en partie du raisonnement cartésien, Lisa cherche non à être soumise à une nature divine, mais à vivre en harmonie avec les éléments naturels. Nous voyons dans Les Simpson, le film, que Lisa se bat pour limiter la pollution du lac de Springfield. Nous pouvons alors noter une référence au film de Davis Guggenheim Une vérité qui dérange, film documentaire traitant principalement du réchauffement climatique dans lequel joue Al-Gore, au moment où elle présente aux Springfieldiens l’augmentation du taux de pollution à bord d’une plate-forme élévatrice. Ce film a pour but de sensibiliser les spectateurs aux problèmes écologiques actuels dus à cette domination humaine depuis la révolution industrielle, et d’insister sur la nécessité d’adopter des gestes plus écologiques.

Autre point commun entre Nietzsche et Lisa: l'abandon du christianisme au profit du bouddhisme. Lisa, on le sait, s'est converti au bouddhisme dès la saison 13 (épisode Sans foi ni toit), elle a délaissé le christianisme (plus précisément la branche presby-lutérienne du protestantisme), lorsqu'elle s'est rendu compte que l'église de Springfield était devenue un commerce sponsorisé par de nombreuses publicités. Nietzsche semble avoir des liens assez étroits avec le bouddhisme. Il le présente dans l'Antéchrist comme l'antithèse du Christianisme (même si elles sont toutes deux des religions nihilistes décadentes). Le bouddhisme démontre une volonté de vivre (là où le christianisme espère vraiment vivre dans l'au-delà, et n'aspire donc qu'à la mort). Il est de plus ''par-delà bien et mal'' (pour reprendre le titre d'un des ouvrages de Nietzsche), c'est-à-dire qu'il ne commande pas dogmatiquement de valeurs morales absolues, mais seulement des conseils pour appliquer son comportement selon les situations; et il n'annonce pas de Dieu créateur : Lisa nous livre quelques informations sur le bouddhisme (sont-elles justes? À vérifier) :

«On atteint le Nirvana grâce à une vision et un esprit juste. Les actions positives conduisent au bonheur, les actions négatives conduisent au malheur. Il n’y a pas de Dieu Créateur, seulement une quête de connaissances. ». Nietzsche ne s'est pas converti au bouddisme (il prend surtout cet exemple pour dévaloriser le christianisme), mais apprécie le fait que cette religion-philosophie promeuve la santé et la vie. Ce n'est pas pour les mêmes raisons que Lisa se convertit: ce qu'elle apprécie dans le bouddhisme, c'est le fait qu'il ne soit pas fondé sur le matérialisme, mais plutôt sur la méditation, la pensée, c'est-à-dire sur l'ascèse. Ce qui diffère radicalement de Nietzsche, pour qui l'ascèse est clairement exclue du bouddhisme. Il critique par ailleurs sévèrement l'ascèse dans la Généalogie de la Morale, parce qu'elle nuit à la santé et à la vie (l'ascèse est une mortification) au nom de préjugés et de croyances religieuses. (Le rapport de Nietzsche au bouddhisme est complexe, il serait impossible à résumer dans cet article. Pour plus d'infos, cf Nietzsche et la pensée bouddhiste par exemple).

Malgré quelques divergences, Lisa serait donc plus proche de la philosophie de Nietzsche, dans la mesure où elle s’oppose aux philosophies occidentales classiques. Le combat de Lisa pour ses idées est néanmoins loin d'être victorieux. Comment expliquer l'échec de l'application de sa philosophie au sein de la communauté de Springfield?

3. Sur l'impossibilité d'atteindre les idéaux et l'échec de sa philosophie.

Pourquoi Lisa ne parvient-elle pas à convaincre les autres de ses idées, ni à faire changer les habitudes des Américains? Il y a deux explications principales à ce phénomène: l'un concerne la façon dont Lisa impose ses idées, l'autre concerne son entourage passif ou destructeur.

3.1. Commençons par les problèmes dans l'attitude de Lisa.

Bien que ses discours semblent très altruistes, (elle fait par exemple le vœu de la paix dans le monde grâce à la patte de singe ensorcelée dans le Simpson Horror Show III) Lisa a en réalité des motivations égoïstes (la paix dans le monde est par exemple un moyen pour Lisa de satisfaire son désir d’un monde sans violence, et l’occasion pour elle qu’on la remercie pour son geste). Ainsi, lorsqu'elle trouve un moyen de faire grossir une tomate et pense alors éradiquer la faim dans le monde, elle s'imagine la scène d'une famille pauvre à table, se partageant une tomate géante, avec une grande photo d'elle accrochée dans la pièce, comme on pourrait le faire pour une idole, voire une divinité. Elle recherche donc autant sinon plus la reconnaissance, les honneurs, le culte de la personnalité, que la fin de la faim dans le monde. Lisa s'imagine souvent avoir fait des choses extraordinaires et être reconnue pour son intelligence; on le voit par exemple dans Bart devient célèbre (s5), où elle s'imagine terminer son autobiographie, en affirmant avoir guéri de nombreuses maladies, mis fin aux guerres, et réconcilié tous les personnages de la série Dallas (''Tous y compris l'irascible J.R.''): n'y a-t-il pas là des points communs avec Jésus-Christ, qui guérit les aveugles, les lépreux, tente d'apporter la paix, tente de réconcilier les frères (et si Dallas avait existé à son époque, peut-être aurait-il réconcilié ses personnages). Dans cette même scène, elle méprise son frère qui lustre les récompenses qu'elle a récolté, jusqu'à le pousser et le faire empaler sur son prix Nobel de la paix. Elle ne voit rien de cruel dans cette situation, simplement de l'ironie, voire du plaisir.

Un second point dans l'attitude de Lisa l'empêche d'atteindre ses buts: sa vanité. Dans Sois-belle et tais-toi (s15), lorsque les professeurs cherchent à manipuler la présidente des élèves à leur guise, et cherchent donc à déceler une faille chez Lisa, cette ''Margaret Thatcher au féminin'', Mme Krapabelle affirme : ''la faiblesse de la femme, c'est sa vanité''. Observation très juste dans le cas de Lisa, qui est très fière d'elle, de ses accomplissements, de ses facultés intellectuelles. Cet orgueil est pourtant néfaste dans la réalisation de ses idées. On voit par exemple dans Le monorail (s4), que si Lisa est la seule (avec Marge) à mettre en cause la construction du monorail à Springfield, en demandant à Lyle Lanley quel en est l'intérêt (elle fait appel à sa raison), celui-ci lui répond: ''Oh, je pourrais te répondre, mais il n’y a que toi et moi qui pourrions comprendre. Même ta maîtresse ne comprendrait pas ! [Lisa rit] Une autre question ? Toi là, qui mange la colle ?''. Lisa est extrêmement flattée, elle se laisse submerger par les émotions et en oublie sa question.

Troisième point qui mérite notre attention: le dogmatisme de Lisa. Elle a en effet un avis très tranché, et refuse toute contradiction. Il s'agit d'un comportement que nous pourrions lier à la notion d' «anima», notion de psychanalyse développée par Carl Gustav Jung au Xxème siècle. L'anima est grosso modo une image inconsciente qui représente la femme et toutes les caractéristiques qui lui ont été attribuées au cours du temps. Jung montre que lorsqu'un homme est soumis à sa part féminine, c'est-à-dire son anima, il est sujet à des humeurs inconsidérées. (Psychologie et Religion, p55). Il faut entendre par ''humeurs'' ce qui a le caractère de réactions d'une sentimentalité intempestive, enfantine, déconcertante, des opinions contestataires désagréables. Bien que Lisa ne soit pas un homme mais une petite fille, son comportement est proche de ce que Jung nous décrit. Lorsque l'anima est ''constellée'' dans une proportion assez grande dans la partie inconsciente, elle amollit le caractère de l'homme qu'elle rend susceptible, excitable, sujet à des sautes d'humeur, jaloux, vaniteux et inadapté. Il est dans un état de ''malaise'' qu'il diffuse dans un rayon plus large. Et on voit que Lisa est souvent irritable ou vaniteuse...

Enfin, Lisa refuse l'échec: elle est jalouse d'Alisson, une surdouée qui la surpasse en presque tous domaines, elle refuse de faire exprès de perdre au concours d'orthographe même si sa défaite pourrait être bénéfique à la diffusion de cette matière en Amérique et qu'elle pourrait avoir des études gratuites (et une plaque chauffante!), elle n'arrive pas à admettre que Bart ait de meilleurs résultats qu'elle lorsqu'ils se retrouvent tous les deux au CE2. Cette intransigeance envers elle-même la conduit généralement à être impitoyable envers les autres, et donc à se faire rejeter.

Ainsi, Lisa s'oppose systématiquement les opinions adverses, même lorsque celles-ci sont bien fondées. Elle ne cherche jamais à remettre en question son savoir: elle ne peut pas accepter que tout le monde continue à manger des produits animaliers, ni que tout le monde croie qu'il y a un ange dans leur garage. En outre, le mépris pour les enfantillages ou les comportements trop exubérants est l'une de ses activités favorites. Voilà pourquoi Lisa a du mal à se faire des amis, et voilà pourquoi elle ne parvient ni à se faire accepter, ni à faire accepter ses idées. Lisa a une soif de pouvoir insatiable. Elle rêve de devenir la ‘’reine du monde !!!‘’ (de l’orthographe ?), de devenir la femme politique la plus puissante du monde en dirigeant les Etats-Unis, et devient même Dieu dans un Simpson Horror Show. Ce désir de pouvoir absolu, non seulement ne sera jamais comblé, comme tout désir, mais surtout risque de donner trop d’ambition à Lisa par rapport à ses capacités, de devenir trop orgueilleuse et égocentrique, et donc d’être en opposition avec ses idéaux de partage, solidarité, entraide.

3.2. Intéressons-nous désormais à l'environnement social et familial de Lisa.

Dans le mariage de Lisa (s6), son petit ami à l'université, Hugh, lui dit qu'elle est ''une fleur qui aurait poussé sur du fumier.'', le fumier représentant sa famille et la ville dans laquelle elle a grandi. Une métaphore intéressante dans la mesure où le contraste est fort entre la douce odeur et la beauté de la fleur, et le tas de déjections nauséabondes, mais surtout parce que le fumier est sensé améliorer la croissance et l'épanouissement de la fleur. Springfield serait du fumier à la fois comparée à Lisa, et pour Lisa. (Notons au passage que Hugh reprend presque exactement l’expression de Jean-Claude Brialy dans Le ruisseau des singes: « C'est dans le fumier qu'éclosent les fleurs magiques. »). L’environnement dégradé et nauséabond de Lisa est peut-être donc à la fois un poison pour appliquer les idées de Lisa et un engrais pour faire pousser ses idées.

Lisa est isolée du reste de sa classe, elle est souvent montrée du doigt, ses actions ne sont guère appréciées au sein de sa famille (par exemple, manifester pour les droits des homosexuels et faire la couverture d’un magazine, ou nettoyer des rochers sur une plage), Shery et Terry se moquent souvent d’elle, et la ville de Springfield est souvent opposée à ses idées, au point de huer ses idées lors des réunions municipales. Ceci a de quoi décourager une petite fille à persévérer dans sa lutte pour le progrès. Sartre nous dit dans L’être et le néant: ‘’Je reconnais que je suis comme autrui me voit’’, donc si autrui (Springfield, la famille) voit Lisa comme une mauvaise personne, ou une personne inférieure, Lisa ne sera rien de plus. Lisa a déjà tenté à plusieurs reprises de ‘’changer d’identité’’ (ce qui est impossible, puisqu’un changement d’identité est partie intégrante de l’identité !), d’être une enfant comme les autres, au niveau intellectuel moyen et aux notes ordinaires, uniquement pour être acceptée par les autres enfants. Mais sans cet environnement, Lisa n’aurait aucune raison de se rebeller, donc aucune idée à proposer. Lisa dans une société parfaite n’aurait aucune raison d’exister, alors qu’il y a tant de choses à changer à Springfield qu’elle ne pouvait pas trouver mieux pour inventer et changer.

 

Conclusion :

Nous avons donc vu que Lisa jouait souvent le rôle du philosophe-roi de Platon. Elle a cependant tendance à espérer devenir davantage ''roi'' que ''philosophe'': en effet, la petite fille de huit rêve d'avoir un pouvoir absolu sur le monde, oubliant ainsi son but d'éclaircir le peuple par la raison. C'est également cette soif de pouvoir – tantôt gardée secrète, tantôt clairement affichée – qui l'empêche de remplir son rôle de philosophe. Lisa, plus reine que philosophe? En tout cas, plus dogmatique que sceptique dans les dernières saisons. Peut-être que même la place de reine est insuffisante pour elle: elle se plairait mieux en tant que personne internationalement reconnue (en devenant présidente des Etats-Unis, en gagnant un prix Nobel qui résout la faim dans le monde…), voire en tant que souveraine du monde. Et même dans le dernier cas, lors d'un Horror Show, Lisa, qui a créé la vie, reste insatisfaite par la soumission de ses créatures et attend toujours plus de vénération. Son désir de puissance ne sera jamais comblé... comme tous désirs. Espérons pour elle que sa conversion au bouddhisme lui permette de s'en détacher, mais espérons pour nous que Lisa garde sa combativité pour ses idées dans un monde qui refuse de s'y plier.

 

** Bree Van de Kamp, personnage de la série Desperate Housewives archétype de la parfaite femme au foyer, qui coud, repasse, éduque les enfants, nettoie, frotte, astique, jardine, fait les courses, les lessives, cuisine parfaitement