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LA
SOCIETE
Springfield,
une utopie ?
|
sociologie
– cité grecque – patriotisme - solidarité/compétition Bourdieu – Boudon – Durkheim – Platon – Aristophane - Machiavel – Popper |
Il y
aurait trente-quatre villes ayant pour nom Springfield
aux Etats-Unis. Sans compter la ville des Simpson, qu'on ne saura
jamais
localiser sur une carte: les scénaristes se font d'ailleurs un malin
plaisir à
nous brouiller les pistes; même une analyse détaillée en procédant par
élimination ne peut pas nous faire déduire dans quel état se trouve
Springfield, vu les nombreuses incohérences. La ville où vivent les
Simpson
serait donc un non-lieu, littéralement une ''utopie'' (du grec topos =
lieu, et
du privatif u). Mais ce terme est-il approprié pour désigner
Springfield et ses
habitants loufoques? Autrement dit, l'idée d'une société parfaite, dont
le
régime politique est idéal, où les habitants vivent heureux et en
harmonie, où
les injustices n'existent plus, est-elle adéquate à Springfield? Afin
de
répondre à cette question, nous nous intéresserons à la fois au système
politique de Springfield et aux rapports réciproques qu'entretiennent
les
Simpson et la ville. n
Springfield
ou la démocratie Athénienne Springfield
a tous les traits de la cité grecque démocratique à l’époque
platonicienne: - en être
chassé constitue la pire des punitions, peut-être
pire que celle d’être tué; en effet, l’homme chassé de la «polis» est
considéré
comme un étranger voire un barbare, il perd ainsi tout statut et toute
identité. Dans At long last leave
(s23), Les Simpson sont chassés par l’ensemble de la population, qui a
voté à
l’unanimité pour leur expulsion. Homer et Marge y reviennent
discrètement
quelques temps plus tard, mais est finalement repérée. Lorsque la
police de
Springfield s’apprête à tirer sur Homer et Marge, cette dernière
annonce «ça ne
me fait même pas de peine que vous nous tiriez dessus. On a trouvé un
nouvel
endroit qu’on aime. [The Outlands]». Cette phrase est contradictoire:
pourquoi
vouloir accepter de mourir alors qu’ils ont la possibilité de vivre
heureux?
Ceci montre que le bonheur possible qu’ils pourraient vivre ailleurs
vaut moins
que leur nouvelle vie loin de Springfield, et par conséquent, que
mourir vaut
mieux que vivre moyennement à Springfield. - la
démocratie, dans laquelle le peuple vote les lois à main
levée, est bien souvent appliquée (même si l’odeur de la corruption
flotte très
fréquemment au-dessus de l’hôtel de ville). Que ce soit pour le choix
de la
construction d’un monorail plutôt que de la restauration de la grand
rue, pour
l’enseignement du créationnisme à l’école élémentaire, ou pour la
légalisation
des jeux d’argent, l’ensemble des habitants adultes (et même les
enfants
parfois) est présent à chaque réunion, et décident de ce qui leur
semble le
mieux pour leur communauté. Le maire fait toujours appel au peuple pour
prendre
une décision économique importante. Tous les personnages sont écoutés
en
général, même si ce qu’ils proposent est complètement absurde. Tahiti
Mel a
d’ailleurs l’habitude d’inviter les personnes restant silencieuses mais
ayant
un avis d’expert à s’exprimer publiquement. - Chaque
personne est censée faire ce pour quoi il est fait,
ce qu’il peut faire le mieux selon les attributs que lui a donné la
nature. Platon
montre que chacun doit faire ce pour
quoi il est le meilleur, en évoquant par exemple le récit des trois
métaux,
extrait de la théogonie d’Hésiode. Selon ce mythe, les hommes seraient
faits
soit de bronze, soit d'argent, soit d'or, et selon la noblesse du métal
de
chacun, chacun a une place bien définie dans la société. A la même
époque, Aristophane
(né vers 450–445, mort vers 385
av. J.-C.)affirme "Fasse le ciel que chacun exerce le métier qu'il
connaît
!". Chaque personne a une fonction différente dans la cité, un rôle
nécessaire et différent, et c’est ce qui est rappelé dans La comète de
Bart,
(s...) lorsque la plupart (tous ?) des Springfieldiens sont
entassés dans
l’abri anti-bombinette de Ned Flanders, le révérend Lovejoy dresse la
liste par
écrit de toutes les personnes dont on aura besoin dans le futur une
fois que la
comète découverte par Bart aura détruit la ville. Chacun des personnage
se voit
attribuer un rôle (Homer, le fournisseur d’électricité, Moe le barman,
ou
encore Helen Lovejoy, la mauvaise langue). Seul Ned Flanders est jugée
comme la
seule personne inutile par Homer (en toute objectivité bien
sûr !), et est
jeté en dehors de l’abri antiatomique. Néanmoins l’unité et la
solidarité sont
plus fortes à Springfield que la division et l’individualisme, si bien
que
l’ensemble des habitants en sort également et rejoint Ned. Par
ailleurs, on
voit bien que chaque personnage est directement lié à sa fonction dans
la
société, rien que dans l’appellation du personnage: on n’appelle par
exemple
jamais le vendeur de bandes dessinées par son véritable nom (Jeff
Alberston),
on ne connaît même pas le véritable nom de certains personnages (ou on
l’apprend très brièvement dans un épisode), qui restent cantonnés à
l’image que
la société crée d’eux, tels que ‘’Disco Stu’’ (Steward), ‘‘Willy le
jardinier’’
(lui-même ne connaissant pas son nom de famille), ou «la folle aux
chats»
(EleanorAbernathy). Dans certains cas, la fonction est automatiquement
attachée
au patronyme: on ne parle jamais de Timoty Lovejoy, mais du «révérend
Lovejoy»,
on dit toujours «capitaine Maccallister» et non Horatio Macccalister»
on dit
plus souvent «Principal Skinner» que «Monsieur Skinner», ou «le maire
Quimby»
que «Monsieur Quimby». Le nom peut même parfois représenter directement
un
métier, c’est-à-dire une fonction pour la communauté: ainsi, «faire son
Smithers» est un métier: celui d’assister Monsieur Burns de A à Z.
Enfin
certains portent tout simplement bien leur nom, comme Hans Taupeman.
Pour
chacun d’eux, la fonction dans la société et l’appellation sont
indissociables.
- Le combat
des philosophes contre les sophistes: Platon
insiste sur sa lutte contre les personnes qui usent de rhétorique et de
persuasion pour faire croire certaines choses, et qui se font payer
pour
diffuser ces informations, c'est-à-dire des sophistes. Qui sont
aujourd'hui les
sophistes? Ce sont principalement tous les professionnels de la
communication
(à vous de voir qui vous mettez là-dedans: hommes et femmes politiques
?
Publicitaires et marketeurs ? Etc.). A Springfield, ils sont
essentiellement
représentés par le maire Quimby, qui sait parfaitement manipuler les
habitants
en ayant recours aux sentiments ou au mensonge (s16, Le mal de
mère:
Quimby: ''Euh… Ce n’est pas mon enfant.
[...]Kent, je ne cache rien du tout… Excepté ce
petit chien… [Il met
la main dans son dos et en sort un petit chien très mignon]
- Journalistes :
[Attendris]
Ooooooooooh ! - Quimby :
Regardez-le dans les yeux et osez me dire que je mens !), ou par
Monsieur
Burns, expert des médias, qui sait se cultiver une belle image
médiatique qui
fait passer n'importe quel message, y compris les plus faux (il réussit
à
monter à 51% dans les sondages pour être élu gouverneur face à Marie
Bayley en montrant
par exemple que la centrale n'est pas responsable de mutations du
poisson
Blinky). (Nous pourrions en citer bien d'autres, notamment Lyle Lanley,
celui
qui convainc la ville d'acheter un monorail). Face à ses sophistes, il
y a des
philosophes qui luttent pour la vérité, (mettant leur plaisir personnel
en
péril, parfois au risque de mourir): Lisa bien sûr, qui parvient à
résister à
l'empire Burns en diffusant son journal ''La robe rouge'' même sans
électricité, mais également Homer, qui fait la grève de la faim pour
prouver
que l'équipe de Springfield va déménager à Albuquerque. n
''Dome
sweet dome'' Dans les
Simpson, chaque ville représente une société
indépendante, capable de vivre en autarcie; à Springfield, toutes les
fonctions
principales sont installées, de la maternelle à l’université, en
passant par
les hôpitaux, les hôtels de ville, ou les services de sécurité (police,
tribunal, prison, pompiers, base militaire). D’autres lieux de
production et de
vente, peu courantes dans les petites villes réelles,
sont disponibles à Springfield : l’usine
Motherloving (fabricant de sucreries en tous genres), les studios de
Channel 6,
les studios radio de KBBL, le parc naturel, le zoo, l’opéra, le maxi
mini-golf,
le bowlorama, le grand stade etc. Même l’énergie (nucléaire) est créée
à
Springfield. Nous n’observons que très peu d’échanges économiques entre
les
villes (hormis la bière Duff ou le botox), qu’elles soient proches ou
lointaines. On voit dans Le citron de la
discorde que Shelbyville, la ville ennemie de Springfield,
qu’elle est la
copie parfaite de Springfield, à deux ou trois détails près, qu’il
s’agisse des
bâtiments existants ou des personnages. On peut donc penser que
Shelbyville est
tout aussi indépendante et autarcique que Springfield. Dans Un
prince à New
Orge (s20), nous découvrons que les habitants d’Odgenville
ont tous des
origines norvégiennes, qu’ils ont une économie développée qui leur est
propre,
des habitudes de vie spécifiques, bref, qu’ils forment à eux seuls une
société
distincte des villes alentours. Springfield
a tantôt les traits de la société ''close'',
tantôt de la société ''ouverte'' de Bergson.***
Le philosophe explique qu'une société close est une société dans
laquelle les
individus jouent le même rôle que les cellules pour le corps d'un être
vivant.
Les individus, comme des cellules, agissent ensemble en vue de
l'auto-conservation de l'organisme et de la protection vis-à-vis de
l'extérieur. Des règles intangibles régissent les rapports
hiérarchiques entre
les unités agissantes. Or nous avons vu de tels mécanismes de
coopération entre
les habitants et de défense contre les Shelbyvilliens, et des niveaux
hiérarchiques inflexibles (impossible de monter dans l'échelle sociale
à
Springfield: Monsieur Burns, même s'il passe du club des milliardaires
à celui
des millionnaires, restera en haut de la pyramide et n'hésitera pas à
''accroître [s]on emprise sur cette ville lugubre'', Cletus aura beau
devenir
riche, il continuera à être un plouc et perdra instantanément tout son
argent,
les Simpson resteront dans les classes populaires, puisqu'Homer ne
risque pas
un jour d'avoir une promotion et de la garder plus d'un épisode). Toutefois, selon Bergson,
dans une société
close, toute nouveauté y est rejetée. Ce qui n'est pas le cas de
Springfield.
La ville accepte de temps à autres les idées qui viennent s'y
introduire, comme
la construction d'un monorail, ou l'acception par le maire Homer des
ordures
des autres villes en échange d'argent. Il arrive que Springfield
veuille
évoluer en copiant les autres villes: c'est ainsi que le proviseur
Skinner
souhaite que Springfield ne soit plus la seule ville qui ait encore
peur des
éclipses, qu'il propose à la ville de légaliser les jeux d'argent, que
Lisa
propose de légaliser les mariages homosexuels, que Marge propose de
construire
un opéra pour imiter Shelbyville. La société close, société naturelle
de
l'homme, peut
s'ouvrir par l'action des
grands hommes pour créer une nouvelle situation, et non se contenter de
la
simple répétition du même. De tels grands hommes qui cherchent à
réformer la
ville par des idées ''lumineuses'' existent à Springfield – on le voit
dans
l'épisode Les gros Q.I. (s15) – néanmoins leur
créativité est vite
étouffée sous la pression de la population qui rejette le changement et
la
nouveauté et dont les instincts poussent sans cesse au retour à la
société
close. La définition que donne Karl Popper de la société ouverte correspond bien à Springfield.*** Selon lui, une société ouverte est celle qui accepte de se soumettre à des tests de falsification ou réfutation par l'expérience, où il n'y a pas un unique savoir véritable. C'est une société non-autoritaire, (non totalitaire) où la discussion, le débat, la contradiction sont nécessaires. Elle est donc démocratique, et sans le philosophe-roi valorisé par Platon dans La République. Springfield est la démocratie par excellence, comme nous l'avons vu, et pour reprendre l'exemple dans Les gros Q.I., nous voyons bien qu'un gouvernement qui impose ses propres règles en ne consultant pas le peuple et en s'imaginant détenir la vérité absolue, ne peut pas se maintenir au pouvoir durant plus d'un épisode sans que la ville ne dégénère, avec l'arrivée en secours, en siège volant, de Stephen Hawkings, l'un des hommes ayant le QI le plus élevé au monde. ![]() source
image:
http://3.bp.blogspot.com/_hsTuDxtqI7c/S-G6o-7s6GI/AAAAAAAAMbM/rg02DeykPR8/s1600/simpsons+movie+dome.png
''La
pire ville d'Amérique''?
Plus qu'une société, Springfield
est une véritable ''communauté'' (''comme-un''). Elle est un tout
indivisible,
dans chacune de ses actions. Nous voyons en effet que les personnages
suivent
toujours le mouvement de celui qui met en avant ses idées (souvent, il
s'agit
de Moe qui appelle à un mouvement de masse de violence), qu'ils font
preuve de
grande solidarité: tout le monde aide à réparer la maison de Ned
Flanders avec
plus ou moins de succès lorsque sa maison est dévastée, (une
crise de Ned,
s8), tout le monde fait des dons aux Simpson lorsqu'ils apprennent
qu'ils se
sont faits cambrioler le jour de Noël (Noël d'enfer,
s9) , chacun
s'implique pour battre un record du monde collectif. Nous voyons que
tous
participent aux mêmes activités proposées par la ville, que ce soit les
cours
du soir sur le thème ''comment manger une orange?'', le premier
spectacle du
nouvel opéra construit par Frank Gehry, ou les activités ennuyantes de
Ferveurland, le parc d'attraction chrétien de Ned Flanders. Springfield
peut
souvent se résumer à une masse de personnes réunies, ou à une foule en
colère.
La ''loi de la jungle'' existe à
Springfield, non au sens où nous l'entendons couramment (c'est-à-dire
le lieu
d'un darwinisme sauvage, d'un monde de compétition acharnée où ne
subsistent
que les plus forts), mais au sens où Jean-Marie Pelt le présente dans
son
ouvrage La Solidarité chez les plantes, les animaux, les
humains. Ce
professeur de biologie végétale et de pharmacologie nous indique en
effet qu'il
existe dans la jungle beaucoup plus de systèmes de solidarité, de
coopération
et de symbiose entre les diverses formes de vie que nous le pensons
ordinairement, et que
la compétition est
nettement plus réduite.
Ainsi, si les apparences nous présentent un monde où la loi du Talion
(''œil
pour œil, dent pour dent'') règne, la réalité est bien plus complexe.
Idem pour
Springfield: la compétition existe bien sûr entre certains individus,
et c'est
la première chose qu'on voit quand on observe Springfield: les brutes
contre
les surdoués, (parfois les surdoués entre eux ou les brutes entre eux),
les
riches contre les pauvres, les vieux contre les jeunes, les profs
contre le proviseur,
etc. Lorsque Marge redécouvre Springfield après avoir perdu la mémoire (A
propos de Marge, s17), la première chose qu'elle voit, c'est
une opposition
verbale et à main nues entre ceux qui préfèrent les cerises bigarreau
et ceux
qui préfèrent les marasquins. Il faut donc dépasser les apparences pour
comprendre les véritables mécanismes relationnels de Springfield.
Nous verrons plus tard que les
Simpson ne peuvent quitter Springfield. Mais pourquoi un tel
attachement à leur
ville, alors que celle-ci a été désignée comme ‘’La pire ville
d’Amérique’’
dans le Time magazine, qu’elle ne fait pas partie des 400 villes
américaines où
il fait bon vivre, qu’elle est constamment critiquée par les médias et
les
autres villes ? Lorsque Marge devient amnésique, et qu'elle retrouve sa
vie
quotidienne à Springfield, elle ne voit que des énergumènes se
disputant, ou un
drogué qui conduit le bus scolaire: un regard neutre et externe ne nous
montre
que les défauts de Springfield. Les habitants de Springfield ne font
pas
semblant d'être des êtres parfaits: le téléspectateur assiste à toutes
leurs
qualités comme à leurs défauts les plus honteux. Springfield n'est pas
une
médaille sans envers, et si nous sommes tentés de ne voir que le
mauvais côté,
il faut penser que le proverbe ''toute médaille a son revers'' peut
fonctionner
dans les deux sens. Il existe une solidarité que nous trouvons nulle
part
ailleurs dans nos sociétés occidentales contemporaines. Tout le monde
se
connaît ou presque, car ils partagent les mêmes activités. Les
Springfieldiens
ont une énergie et une imagination débordante, ils participent
activement à la
démocratie, aux désirs de changement.
Pour les Simpson, Springfield
s'apparente à la ville idéale parce qu'elle leur ressemble dans leur
imperfection. C'est également là où la famille a pris toutes ses
habitudes, de
l'abonnement à la bibliothèque au choix de l'avocat de Bart. C'est à
Springfield que sont nées les premières aventures des cinq personnages
réunis,
qu'ils sont nés, et probablement qu'ils mourront. Springfield a formé
les
Simpson a son image, tout comme les Simpson participent à la formation
de
Springfield. Ils aiment cette ville car tout le monde les connaît
désormais:
ils forgent ainsi leur identité par rapport aux autres habitants: Marge
est
ainsi définie comme la bonne chrétienne à l'écoute épouse d'un type qui
ne va
pas bosser, Bart comme le cancre de service, Homer comme le champion de
bowling
alcoolique et fainéant etc. n
''Cette
ville est une partie de
vous-même'' Si les Simpson ne sont dans leurs
discours pas particulièrement attachés à Springfield, on
voit en réalité
à quel point la ville leur manque lorsqu’ils en sont chassés. Les
Simpson sont
comme nous tous: ils n’ont que des désirs que lorsqu’ils ressentent un
manque.
Lorsqu’ils vivent dans Springfield, ils n’hésitent pas à évoquer des
projets
pour la quitter, et à souligner tous ses défauts. Mais lorsqu’ils ne
peuvent
plus y habiter, leur seul désir est d’y rentrer. En réalité, le
patriotisme des
Simpson est fort lorsque leur vie à Springfield est menacée. Dans Un Monde trop parfait (s8) lorsqu’Homer
change de travail pour aller à Cypress Creeck, Lisa se rend compte
qu’elle est
allergique à toutes les plantes de l’environnement, Bart se sent
malheureux
dans sa nouvelle classe réservée aux «cerveaux-lents», Marge perd sa
raison
d’exister étant donné que toutes les tâches ménagères se font
automatiquement,
et commence à succomber à l’alcool. Seul Homer semble heureux dans son
nouveau
travail: mais il se rend compte que son bonheur ne peut être total si
sa
famille est malheureuse. Dans Le citron
de la discorde (s6), les Springfieldiens, enfants et parents,
s’unissent
pour récupérer le citronnier planté par les fondateurs de la ville,
symbole
historique, volé par les habitants de Shelbyville, l’ennemi officiel.
Marge
rappelle dans cet épisode à ses enfants et son mari qu’ils doivent être
fiers
de leur ville, car «cette ville est une partie de nous-mêmes, une
partie de
nous-mêmes, une partie de nous-mêmes».* Springfield est encore plus uni
que
d’habitude face à l’adversité, qu’il s’agisse de Shelbyville, de
l’invasion des
dauphins (Simpson Horror Show ...), ou de celle des extraterrestres.
Les
habitants sont très attachés à l’histoire de leur ville, fondée par
Jebeddiah
Springfield en 1796. Le fort patriotisme des Springfieldiens
s’approcherait
presque de celui de Machiavel pour l’Italie.
Celui-ci affirme dans une lettre à
Francesco Vettori du 15 avril 1527: «j’aime ma patrie plus que mon
âme». Un
sentiment difficilement compréhensible pour nous, français du XXIème
siècle,
mais peut-être un peu moins incompréhensible pour la culture
américaine. Les Simpson
semblent s’approcher de ce sentiment, et s’ils
ne sont peut-être pas aussi radicaux, ils peuvent préférer au moins
leur patrie
à leur vie corporelle. Nous le voyons dans le film, dans lequel la
famille
risque sa vie en retournant à Springfield, ville menacée de destruction
par le
gouvernement, pour aller les sauver (alors que la foule a essayé de les
tuer au
début du film!).
Nous pouvons noter que
Springfield et la famille Simpson sont interdépendants. L’un ne peut
exister
sans l’autre. Cette idée est pratique pour réunir deux grands courants
sociologiques que sont l’individualisme méthodologique* et le holisme.
Le
premier, représenté en France par Raymond
Boudon, considère que l'individu est l'élément
premier de tout
phénomène social, et qu'ainsi la société n'est que la somme des
individus. Les
individus agissent rationnellement (mais les croyances jouent un rôle
important
dans la décision d'action) et créent ensemble un acte social. Pour
l'individualisme méthodologique, les ensembles sociaux n'existent que
dans
l'esprit humain, et n'ont pas d'autre existence: il est ainsi inutile
de leur
prêter des motivations ou des sentiments humains. Les individus font la
société. Selon ce courant, Springfield ne serait rien de plus que les
actions
des personnages qui la composent, tout hétérogènes qu'ils sont. Ainsi,
lorsque
la ville ''décide'' de construire un monorail, c'est en réalité Lyle
Lanley qui
décide et qui convainc les autres. Les habitants cherchent à maximiser
leur
utilité , en faisant appel à leur raison, mais aussi à leurs croyances:
on
observe par exemple ce phénomène dans les nombreuses scènes de foule
existant à
Springfield : chacun poursuit son but en poussant tout le
monde, que ce
soit pour attraper une Malibu Stacy ou pour aller chercher un trésor
enterré
sous un arbre en forme de T. Boudon
nous
montre que ces phénomènes conduisent à ce qu'il nomme des ''effets
pervers''
(comme les paniques boursières), où l'addition des actions
individuelles
conduit à une situation inattendue et non désirée par chacun. Un tel
effet
pervers existe par exemple dans La comète de Bart (s5):
prévoyant la
chute d'une comète, tous les Springfieldiens veulent entrer dans
l'''abri
anti-bombinette'' de Flanders, en s'écrasant les uns contre les autres.
Mais il
manque une place: Ned Flanders se sacrifie et sort de l'abri. Ayant
pitié de
Ned, les habitants finissent tous par en sortir, par solidarité. Le
désir initial
de chacun (être dans l'abri) a conduit à un effet pervers (plus
personne n'y
est). Le second courant, le holisme**,
dont l'un des représentant est Pierre
Bourdieu, adopte
la position
inverse, en montrant que la société est plus que la somme des
individus. C'est
la société qui fait l'individu, elle entraîne des déterminismes qui le
forment.
Ainsi, ce serait à cause de son appartenance sociale (les classes
populaires
américaines) qu'Homer n'est pas très cultivé et ne parviendra jamais à
monter
dans l'échelle sociale indéfiniment, car il ne fréquente pas de lieux
fréquentés par les plus riches, n'a pas reçu la même éducation. Les
Simpson
tirent leur identité de la ville: les valeurs (les plus minables comme
les plus
fortes), ses multiples échecs, l'histoire de son fondateur, son slogan
avec une
faute de français (''un esprit noble engrandit le plus petit des
hommes'')
contribuent à la petitesse de ses habitants. Springfield est pour la
famille
une entité supérieure invisible à laquelle elle doit obéissance et
loyauté.
La famille jaune ne peut vivre
sans Springfield, qui, plus qu'une ville, est une vraie cité (ou
peut-être
est-elle un Etat?). L'homme sans sa cité, isolé, ne serait qu'un être
inachevé
selon Aristote.
''L'homme est par
nature un animal politique'' (La politique). Il
montre que l'homme se
regroupe d'abord en famille ou foyer, puis en village, puis en cité,
qui est la
forme achevée de réunion des hommes, et est la condition à la pleine
réalisation de l'homme (il en a besoin pour se reproduire et pour
assouvir ses
besoins vitaux). Les Simpson ont eux aussi besoin de leur cité. Dans les Simpson Le Film, la fuite de
Springfield est néfaste au couple Homer-Marge, qui d’habitude résiste à
toutes
les disputes imaginables et farfelues. La réconciliation n’est possible
que
lorsqu’ils sont tous deux réunis à Springfield. Dans Le
drapeau...potin de
Bart (s15), la famille se réjouit des mets et de la haute
couture dans un
restaurant de la tour Eiffel, mais se lamente toutefois de ne pas être
chez eux
avec toutes leurs affaires, en Amérique. L'exemple le plus explicite
est enfin
donné dans Un monde trop parfait (voir
précédemment). Marge est
probablement le personnage le plus impliqué dans la ville: elle
participe aux
ventes de charité, aux comités religieux et culturels, aux fêtes de
l'école,
oblige sa famille à aller à l'église. Elle rappelle même à ses enfants
dans le
citron de la discorde que ''cette ville est une partie de
vous-même'':
comment donc vivre comme d'habitude s'il nous manque une partie de vous
?
Quitter Springfield représente en quelque sorte un handicap pour des
Simpson
inadaptés à notre monde. En se coupant de la vie citoyenne de
Springfield, ils
se coupent de la vie elle-même. En dehors de Springfield, ils ne se
sentent pas
en sécurité. Nous voyons par exemple que dans Le fils à maman
(s17) que
lorsque Marge et Bart se baladent en tandem et quittent les terres de
Springfield, Marge commence déjà à composer le numéro d'urgence sur son
téléphone portable.
A l’inverse, nous pouvons
constater que sans les Simpson, Springfield n’est plus Springfield,
voire, que
Springfield n’est plus. Bien sûr, Springfield n’existerait plus aux
yeux des
téléspectateurs, puisque pas de série sur les Simpson signifie pas de
Springfield. Mais nous voyons également que les personnages sont trop
attachés
aux Simpson pour pouvoir vivre en harmonie: dans At
long last leave (s23), les proches d’Homer finissent par le
rejoindre à The Outlands, puis d’autres, puis d’autres, puis toute la
ville
finalement, même Bart ramène le principal Skinner. Dans Marge
à l’ombre (s4), l’absence de Marge Simpson (qui est en
prison) a un véritable effet papillon(petites causes, grandes
conséquences):
Marge ne peut pas cuisiner des biscuits aux carottes pour la vente de
gâteaux
au profit de l’embellissement des parcs. Ces biscuits apportaient
exactement 15
dollars habituellement. Or, il manque justement ces 15 dollars pour que
Springfield puisse payer la statue de Lincoln. La mairie choisit alors
une
statue moins chère: celle de Jimmy Carter. Ceci est vivement critiqué
par les
habitants, et aussitôt la ville se transforme en une véritable émeute.
Helen
Lovejoy en conclut: «Rien de tout ça ne serait arrivé si Marge Simpson
avait
été là...». Dans Sbartacus (s10), les seniors
veulent imposer un couvre
feu pour les moins de 70 ans. Un vote est alors organisé: la loi est
acceptée,
à une voix près. Tout cela, parce qu'Homer n'a pas été voter. Le sort
de la
ville ne reposait que sur son action. Dans la même situation, nous
retrouvons
dans le film la ville recouverte par un dôme et menacée de destruction
principalement parce qu'Homer a jeté le silo de déjections de
Spider-cochon
dans le lac. D'un autre côté, c'est uniquement grâce à son parcours
héroïque en
moto et à son lancer de la bombe que la ville est sauvée. Si Homer
avait
respecté la loi, rien – aucune action -
ne serait passé à Springfield.
En
quelque sorte, les Simpson sont à Springfield ce que les Ingalls sont à
Walnut
Grove dans La petite maison dans la prairie: leur
rôle dans la société
est majeur, et leur départ de la série est synonyme de fin de la série
télévisée.*
Springfield est donc bel et bien
une utopie, non au sens où elle serait une ville parfaite en tous
domaines,
mais au sens où elle est un non-lieu, elle n'est ni réelle, ni
réalisable. S'il
est impossible de la situer sur nos cartes, c'est bien parce qu'elle
n'appartient pas à notre réalité.
Terminons avec la leçon de
patriotisme de Marge dans cet extrait :
Marge
: Comment as-tu pu commettre un acte de vandalisme dans ta propre
ville, que
dirais Jebediah Springfield ? |