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La
vie selon Homer Simpson
![]() Aristote - Epicure – Kant - Nietzsche - Freud - Henry Vivant – vie – existence – conscience – mémoire - connaissance – perception – empirisme – action – homme – religion
Obèse, fainéant, chauve, colérique,
alcoolique, gourmand,
peu soigné voire écoeurant … Tels sont les qualificatifs que nous avons
traditionnellement en tête lorsque nous pensons à Homer Simpson. A lui
seul,
Homer représente le concept du beauf américain affalé dans son canapé,
regardant le superball une bière à la main. Rien de très flatteur dans
ce
portrait… Mais n’est-il que cela? Le vrai Homer n’est-il qu’un
«monstrueux
buveur de bière» (selon les termes de son fils), un être qui ne fait
rien
(‘’fait-néant’’) dans sa vie?
Si tel était le cas, quel intérêt aurions-nous à regarder quelqu’un « vivre sa vie par procuration, devant son poste de télévision »* ? La vie d’Homer Simpson est en effet bien plus riche (quantitativement et qualitativement) que ce que les novices en matière de Simpson peuvent en penser. Pourrions-nous même dire que le personnage est un modèle de vie, un modèle à suivre ? Nous tenterons ici de répondre à cette question, en précisant le sens du mot ‘’vie’’, en présentant le rapport qu'a le personnage au monde qui l'entoure, et en montrant si le mode de vie d’Homer s’approche plus de celui du végétal, de l’animal, ou de l’homme. 1. L'âme d'Homer: ''une bête très intelligente''? Aristote est à l'origine de la zoologie. Il propose une classification des êtres vivants (végétaux, animaux, hommes) en partant du principe que tous ont une âme (de anima, = ce qui anime (le corps), ce qui donne forme à la matière), mais une âme de nature différente. Il établit ainsi une ''Echelle de la Nature'', où sont placés en bas la matière inanimée, puis les plantes, puis les mollusques, les éponges, les méduses, et où les hommes sont au sommet, au dessus des autres mammifères. L'échelle rend ainsi compte de la complexité croissante de l'âme: les végétaux sont simplement dotés d'une âme ''végétative'' (âme qui rend possible la génération, l'alimentation (âme ''nutritive'') et la croissance), les animaux ont une âme végétative ainsi qu'une âme ''sensitive'' (condition de la sensation et du mouvement (âme ''appétitive'' ou ''locomotrice'')). Seul l'homme a , en plus des deux précédentes, une âme rationnelle ou ''intellective'' qui préside à la pensée. ** A partir de cette classification, déterminons la nature (la complexité) de l'âme d'Homer: notre ''couch potatoe'' est-il plus proche du végétal ou de l'être humain? Affalé dans le creux de son canapé à raison de huit heures par jour***, le plus souvent une bière Duff à la main, Homer n'est-il pas le parfait légume, le végétal incapable de se déplacer et ne vivant que grâce à ses apports nutritifs? Lorsqu'on voit Homer regarder une émission à la télévision, on n'est loin d'observer un être humain qui cherche à atteindre des buts, à se surpasser, ni même un être qui pense, ou qui peut se déplacer, mais seulement un être vivant ayant une âme végétative. Lorsque la télécommande de la télévision ne marche plus et qu'il faut se lever et marcher un ou deux mètres pour changer de chaîne, cela s'apparente à un obstacle insurmontable pour Homer. C'est encore pire lorsqu'il faut aller voir qui a sonné à la porte: Homer demande même à ses animaux domestiques (Boule de neige II et Petit Papa Noël, qui ont une âme végétative, sensitive, et même parfois une âme intellective !) d'accomplir cette lourde tâche, qu'il est dans certains cas incapable de réaliser. Homer adore être assis ou couché: c'est dans ces positions qu'il ne peut pas agir ou bouger, c'est une position grâce à laquelle il peut se nourrir, et c'est ce mode de vie qu'il considère comme idéal. La télévision est pour lui le moyen d'échapper à sa vie réelle qu'il juge médiocre, mais surtout le moyen d'éviter de penser. Marge : Oh j’en ai un peu marre de cet série. Par contre on dit que du bien de « Parle à ma main ». La critique dit que les dialogues sont pétillants comme du champagne. Homer : Si tu veux. Du moment que j’ai pas à penser. Voix à la télé : [Il chante] Parle à ma main ! Ma tête est malade... [Lisa arrive avec une vieille radio, et éteint la télé] Lisa : Eh, regardez se que j’ai trouvé... le poste de radio de grand père. Oh, ça pourrait être amusant de nous rassembler et de l’écouter comme dans le temps. Homer : Bon ben... allume-le. [Inquiet] Hou, je commence à penser ! Lorsqu'il regarde béatement et passivement son écran, Homer a toutes les caractéristiques de l'âme végétale. Homer use pleinement son âme végétative, néanmoins nous ne pourrions nous intéresser à ce personnage s'il n'était doté que de celle-ci, et on s'en serait vite lassé. Avez-vous déjà essayé de vous intéresser à la vie d'un végétal, sans tomber dans anthropomorphisme ou dans la prosopopée ? Cela semble difficile: on voit bien que déjà les Anciens**** considéraient la Nature comme cruelle, capricieuse (des traits totalement humains) , ou toute puissante, divine. La vie d'un végétal est pour nous, hommes, une vie ''mortelle'' qui ne peut nous intéresser, ainsi Homer comme n'importe quel personnage de télé, de cinéma, de roman ou de b.d. ne peut se limiter à une âme végétative, même si ce personnage est un végétal (comme on peut en voir par exemple ici dans un Walt Disney). Qu'en est-il donc de l'âme sensitive d'Homer? Lorsqu'il n'est pas assis ou couché, que fait Homer? Ses actes se limitent-ils à ceux des animaux, ou y a-t-il des traces d'humanité? Compte tenu de sa faible intelligence (son Q.I. est par exemple environ égal à celui du dauphin dans Quel gros Q.I. s15, et on apprend qu'il est de 55 dans Le cerveau, s12 et quand aux dommages au cerveau qu'il a subi, on ne les compte même plus!) , de sa posture et de ses gestes, de son manque d'élégance et de raffinement, les habitants de Springfield considèrent davantage Homer comme un primate que comme un homme (Lisa: «Mais vous monsieur, vous n'êtes qu'un babouin!»). Comme n'importe quel animal, Homer resssent les choses qui l'entourent grâce à l'existence de cinq sens (le goût, l'odorat, l'ouie, le toucher, la vue). La nature même d'Homer en tant qu'être vivant est même mise en cause par les scientifiques du monde entier dans L'abominable homme des bois (s1): «La récente capture de ce mystérieux Bigfoot place les scientifiques devant l'énigme du siècle. Bien que la créature aie été finalement remise en liberté, la question demeure. Qui était ce Homer ? Etait-ce un homme, ou était-ce ce fameux chaînon manquant dont on parle tant ?» explique le journaliste. Marvin Monroe, le psychiatre très médiatisé, affirme qu' «Après des analyses très poussées tant sur le plan anatomique que biologique, j'ai le regret de vous annoncer que la seule chose que nous pouvons affirmer, c'est qu'on ne peut rien affirmer. Cette chose peut ou peut ne pas être un être humain». Nous ne pouvons néanmoins que souligner la faiblesse de l'argumentation des scientifiques (voir article ''le savoir, à petites doses'') qui se limitent à l'étude du physique d'Homer, ou à un jugement purement subjectif (''une lueur d'intelligence dans ses yeux''). La science reconnaît elle-même qu'il est difficile de différencier sur un plan anatomique ou biologique l'homme de l'animal, quand on sait par exemple que les gènes de la souris et de l'homme sont à 95 % identiques. Si nous nous en tenons de plus à la théorie de l'évolution de Darwin (bien résumée dans l'épisode Le vrai descendant du singe, s17, et dans un gag du canapé très largement visionné sur Youtube) pour plus de détails, voir article ''la science''), nous voyons que l'homme n'est originellement qu'un singe qui a su survivre et s'adapter dans son environnement. De quel type de primate parlons-nous donc ? D'un singe ou d'un homme? Pour répondre à cette question, revenons donc aux éléments qui différencient l'homme des (autres) animaux, qui ont été désignés par les philosophes depuis l'Antiquité grecque. L'homme pratique des activités qui lui sont propres, comme le langage (qui implique d'autres activités comme le rire***** ou le mensonge...), l'écriture, les mathématiques, la science, la technique, l'art, l'invention en général, la capacité à faire le bien et le mal et la religion. Nous voyons bien qu'Homer pratique toutes ces activités (avec plus ou moins de génie): il invente des histoires, met en scène des spectacles, il pratique sa religion (même s'il croit davantage en Superman qu'au Dieu de la Bible, il croit en un être sur-puissant, peu importe donc son nom, Homer n'est pas athée), il part travailler chaque jour, il fabrique des objets – de l'étagère à épices au robot de Bart en passant par la niche de petit papa noël -, et s'adonne à des activités artistiques comme dans Le chef d'oeuvre d'Homer (s10) où son barbecue raté devient une œuvre dada, il a quelques notions – très minimes , mais elles existent - de sciences et de mathématiques, il sait ce qui est bien et ce qui mal, bien qu'il tente de faire abstraction de son surmoi la plupart du temps – mais celui-ci revient en général à la fin de l'épisode (comme dans Tu ne déroberas point, (s2) où Homer qui piratait le cable cède sous la pression de Lisa et Marge pour qu'il le débranche), et évidemment il écrit et il parle. Aristote nous montre de plus que ''l'homme est par nature un animal politique. Et celui qui est sans cité, naturellement et non par suite des circonstances, est ou un être dégradé ou au-dessus de l'humanité'' (La Politique). Nous voyons qu'Homer est très impliqué dans la vie de Springfield, ville qui a une fonction semblable à celle de la cité grecque à l'époque aristotélicienne. (plus de détail dans l'article Springfield: une société utopique?): c'est lui qui joue le rôle du crieur public dans Le vrai faux héros (s7), qui se fait un plaisir d'incarner le roi du carnaval dans Qui veut tuer Homer?(s14), c'est lui qui propose toujours des solutions idiotes pour la ville lors des réunions, et qui sont très souvent approuvées à l'unanimité. Homer semble donc pratiquer toutes les activités de l'être humain. Toutes ces activités sont possibles parce que l'homme est doué de ''logos'', terme grec signifiant à la fois ''parole, discours'' et la rationalité, la raison. Cette raison, Freud la nomme ''sur-moi'', une sorte de garde-fou qui nous permet de vivre en société, qui permet de juger les actes du ''moi'' (la conscience). Si Homer peut faire toutes ces activités, c'est qu'il a une raison. Mais il est si impulsif, (aucune trace de névrose chez lui), sans gêne, sans sentiment de culpabilité, si libre, que nous avons l'impression qu'il n'en a pas: en réalité, Homer possède le logos, mais n'en use que rarement: ses pulsions (Amour et Faim, Vie (Éros) et Mort (Thanatos)) – notion théorisée par Freud qui désigne des poussées d'origine biologique qui ne cherchent qu'à être satisfaites - sont plus fortes. Ces pulsions s'entrechoquent dans le ''Ca'', zone obscure et ténébreuse de la personne humaine. Il arrive toutefois que la conscience morale resurgisse (particulièrement dans les dernières saisons): il est ainsi prêt à renoncer à 1 million de dollars pour éviter de se faire passer pour un père noël méchant; à donner un rein à son père malgré sa peur bleue de l'opération; à mettre tout en œuvre pour assurer la sécurité des habitants de Springfield etc. S'il nous semble parfois qu'Homer ne connaisse pas certaines notions qui définissent l'Homme comme la morale ou les sentiments (dans Homer va à la fac, (s.....), il ne sait pas ce qu'est la morale, dans St Blues Lisa (s1), il confond les sentiments avec des sensations comme la douleur physique), il n'est rien de plus faux. Ce n'est pas qu'Homer n'a pas de morale ni de sentiments, mais simplement qu'il ne connaît pas ces mots théoriquement (ce qui ne l'empêche pas d'en faire l'expérience), parce que son logos est peu développé. L'âme intellective d'Homer est donc peu développée, mais elle existe néanmoins comme chez tout être humain. Homer revendique de toute manière sa nature humaine: il ne veut pas rester un être végétatif ou bestial. Nous voyons qu'il veut garder sa dignité, qu'il clame qu'il est un homme et qu'il a droit au respect, que ce soit auprès de Monsieur Burns lorsqu'il l'engage comme bouffon personnel, auprès des producteurs de la série tv '' les flics de la police'', ou auprès de sa famille, en particulier de son fils. Cette demande est tout à fait légitime: chaque être humain a droit au respect, il est nécessaire de respecter la dignité de chacun. Lorsqu'Homer dit à Monsieur Burns qu'au nom de sa dignité, il ne veut pas de son argent pour faire des choses avilissantes comme se déguiser en panda et finir par faire l'amour avec un panda mâle, il ne fait qu'affirmer les principes de Kant, qui nous montre dans ses Fondements de la métaphysique: « L’homme n’a pas un prix mais une dignité consistant dans le fait qu’il est sans prix. ». C'est d'ailleurs dans cette scène que le patron de la centrale nucléaire reconnaît l'humanité d'Homer: ‘’On dirait que mon singe est devenu un homme….... un pauvre homme’’. 2. La conscience d'Homer L'homme a la capacité de dire ''je'', c'est-à-dire qu'il possède une conscience: cette conscience peut choisir son mode, l'homme n'est pas ainsi seulement prisonnier de la perception du présent (contrairement à l'animal), mais est aussi doté d'une mémoire, et d'une faculté d'imaginer le futur.
C'est
là que le doute s'installe concernant la nature d'Homer. La conscience
de ce
personnage ne semble pas exactement identique à la nôtre. Homer a un
rapport au
temps différent du nôtre: il lui arrive souvent d'oublier sa vie
passée: dans A
bas le sergent Skinner (s12), Ned Flanders lui parle du
chasse-neige qu'on
l'a vu utiliser dans la saison 4 (épisode Monsieur
Chasse-neige), et lui
fait remarquer qu'il est écrit ''Monsieur Chasse-neige'' sur son
blouson, sans
qu'Homer ne puisse se souvenir de cet épisode de sa vie. Il lui répond
même:
''je connais quand même ma propre vie Ned.''.
Lorsqu'on
lui trouve une vocation d'artiste Dada dans Le chef d'oeuvre
d'Homer
(s10), Homer dit que cela a toujours été le rêve de sa vie, et que
''déjà quand
[il] étai[t] collégienne, [il] arrêtai[t] pas de peindre portraits sur
portraits
de Ringo Starr'', sans se rendre compte qu'il parle en réalité de
l'adolescence
de Marge. Les troubles de la mémoire d'Homer sont manifestes dans Soupçons
(s19),
où l'on voit qu'il mélange les souvenirs de sa vie à une pub qu'il a
vue, qu'il
détruit avec facilité le souvenir de son premier baiser avec Marge;
ainsi que
dans Les parents trinquent (s13), où il confond sa
maison avec le
clocher de l'église en avouant ''parfois j'ai des trous de mémoire'';
mais
surtout dans La dernière invention d'Homer, s10:
Homer : J’ai gâché la moitié de ma vie Marge ! Tu sais combien j’ai de souvenirs ? 3 : Moi faisant la queue pour un film, moi faisant faire une clé et moi assis là, à coté de toi. Voilà tout se que j’ai réussi à faire en 38 ans ! Marge : Tu as 39 ans. Homer : [encore plus triste] Oooooh ! [Il se roule en boule sur le lit]
Homer n'a pas le même
rapport au futur non plus: il ne pense pas aux conséquences de ses
actes, et ne
s'imagine pas son propre futur: dans Chéri fais-moi peur (s9), Homer
dit à
Marge qu'il ne pensait pas vivre aussi longtemps, et donc qu'il ne
s'était pas
imaginé comment sa vie serait en ce moment. En réalité, Homer ne fait
même pas
la différence entre le passé et le futur: Lorsqu'il parle des pires
choses
qu'il ait fait dans sa vie à Marge, il se souvient d'un épisode censé
se passer
dans sa vie future: ''Le mariage de Lisa gâché dans le futur, tu t'en
souviens?!'': de manière générale, les Simpson n'ont pas le même
rapport au
temps que nous (voir article ''Le Temps'' :
Nous ne pouvons pas
choisir le temps de notre conscience (scotchée au temps présent), mais
nous
pouvons choisir son mode. Les Simpson quant à eux peuvent choisir les
deux
grâce aux épisodes flash-back, flash-forward et d'Halloween.)
Si la conscience d'Homer fonctionne différemment des êtres humains, la question de la nature d'Homer se résout avec Freud, qui montre dans la XXXIe conférence: La décomposition de la personnalité psychique (In: Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse ******), que ''Pour les processus qui ont lieu dans le ça, les lois logiques de la pensée ne sont pas valables, surtout pas le principe de contradiction'', et que les notions d'espace et de temps sont peu nécessaires à son fonctionnement, le désir ne s'altère pas en fonction du temps et de l'espace. Ainsi, puisque les actes d'Homer sont dans l'écrasante majorité des cas issus des pulsions du Ca, et non de la conscience morale, il semble logique qu'Homer n'ait pas un rapport au temps aussi clair que le nôtre. Mais nous pouvons aisément imaginer qu'il soit capable, lorsque sa conscience morale s'en donne la peine, d'avoir le même rapport au temps que le nôtre. Matt Groening lui-même souligne la faiblesse du surmoi d'Homer comparée à ses pulsions du Ca, lorsqu'il déclare " Homer est ce que je rêve secrètement d'être . Il ne connaît pas le sens du mot "culpabilité"». Nous pouvons imaginer que beaucoup d'hommes et de femmes aimeraient eux aussi cesser d'être gênés,complexés, de se sentir coupable, aimeraient être libérés des limites et des interdits moraux personnels et dictés par la société, comme Homer Simpson. La conscience d'Homer est donc bien celle d'un être humain, mais pas de l'homme névrosé qui laisse trop d'importance à son surmoi et qui n'ose pas agir. Ni de celui qui reste trop attaché au passé, qui a une vision constamment ''historiciste'' (une telle attitude tue la vie, selon Nietzsche). Nietzsche montre dans les Considérations Inactuelles (I-II), chapitre 1, que la capacité à oublier est une condition nécessaire pour vivre et trouver le bonheur. Il montre que l’animal, vivant dans l’instant présent, vit dans un bonheur envié par l’homme, mais ne peut s’en rendre compte car il est dépourvu de mémoire. Il vit ainsi de manière «non historique». L’homme quant à lui, par essence, ne peut se détacher à ce point du passé: seule la mort peut lui apporter l’oubli tant désiré L’oubli est donc nécessaire au bonheur, mais aussi à l’action, et donc à la vie. (« Il est possible de vivre sans se souvenir et de vivre heureux, comme le démontre l'animal, mais il est impossible de vivre sans oublier » CI, II, §1). En effet, un homme incapable d’oublier penserait que rien ne serait permanent, ce qui paralyserait son choix d’action. Ce serait donc la capacité d'oubli (la déficience de sa mémoire) d'Homer qui lui permet d'agir, de prendre autant de risques, et d'avoir une vie aussi riche. Mais Homer se distingue de l'animal car il n'est pas uniquement ''non historique''. Si Homer est ''physiquement un adulte'' (selon l'expression de Marge), il a gardé la psychologie de l'enfant capricieux qui veut voir ses désirs immédiatement satisfait, qui ne sait pas attendre, qui vit et savoure l'instant présent sans avoir conscience des risques. C'est ce mode de vie qu'il revendique et défend contre les choix de Marge et Lisa... 3. L'expérience, remède contre l'érudition de Lisa et la ''vie au rabais'' de Marge
Homer exprime de façon claire et
distincte son refus de la vie plate, morne, (''sans vie'') de Marge, et
son
goût pour l'action, dans une jolie tirade dans l'épisode La
rivale de Lisa,
saison 6:
Marge : - J’aimerais bien que tu arrêtes de garder ce sucre infâme ! Tu deviens complètement parano ! […] J’aimerais savoir quand tu renonceras à ton délire sucré? Homer : - Jamais !! Jamais Marge ! Je ne veux pas d’une vie au rabais comme la tienne ! Je veux tout connaître ! Je veux des bas terrifiants, des hauts enivrants, des milieux bien moelleux !... Bien sûr, je vais choquer certains pisse-vinaigres avec ma démarche résolue et ma forte odeur de muse. Ooh, je ne serai jamais le chouchou des soi-disant notables de cette ville qui claquent leur langue, caressent leur barbe en se demandant de ce qu’il convient de faire de ce Homer Simpson !! Marge refuse de vivre ses émotions, refuse toute prise de risque, et reste dans la névrose. Comme elle le dit elle-même, elle aime tout ce que les personnes âgées aiment: la stabilité, le prévisible, la constance. Tout l'inverse d'Homer! On dit que les opposés s'attirent: cela n'a jamais été aussi vrai dans le couple Homer-Marge. Lorsqu'il agit, Homer suit la philosophie de Marc-Aurèle: « Voici la morale parfaite : vivre chaque jour comme si c'était le dernier ; ne pas s'agiter, ne pas sommeiller, ne pas faire semblant. ». Dans la peur de l'avion (s6), il s'oppose directement à la vie sans goût de Marge, à la recherche de nouvelles saveurs, d'un peu de piment dans sa vie: ''Voyons Marge, j'en ai ras-le-bol de ce bled pourri! Je veux explorer le monde. Je veux regarder la téloche sous d'autres latitudes. Je veux découvrir des centres commerciaux exotiques. J'en ai marre des glaces au chocolat, je veux goûter des glaces à l'ananas, des glaces aux fruits de la passion... [criant] Je veux vivre Marge, tu ne veux pas que je vive! Hein c'est ça! Tu n'veux pas que je vive!''
Homer s'oppose également au
choix de vie de Lisa. Celle-ci cherche à atteindre la connaissance par
l'érudition, et passe sa vie à faire ses devoirs. Là où Lisa choisit
les
livres, Homer choisit d'accéder à la connaissance par l'expérience.
''Penser,
t'as qu'ce mot là à la bouche'' lui dit-il: il ne veut pas penser car
selon
lui, les représentants que les américains élisent sont là pour penser à
sa
place; son rôle n'est que d'agir , le plus souvent impulsivement.
La vie d'Homer est bien remplie. Qui a déjà rencontré plusieurs présidents des Etats-Unis dans sa vie? Qui a déjà été dans l'espace? Qui a déjà été l'acteur principal d'un film d'action ? Qui réussit à faire 300 points au bowling? Qui parvient à empêcher une explosion nucléaire (par le hasard)? Qui gagne 1 million de dollars à la loterie? Qui participe à un match de boxe professionnelle? Qui réalise son rêve de manger le plus gros hot dog du monde à la fête de Springfield? Dans un flic de choc, saison 13, Homer débite une longue liste de métiers qu'il a pu pratiquer au cours de la série (celle-ci ne représentant qu'une petite portion de sa vie, ne l'oublions pas!) : Homer : Hou j’en ai fais des choses dans ma vie : Boxeur, mascotte, astronaute, imitateur de Krusty, baby-sitter, routier, hippie, laboureur, critique gastronomique, artiste, marchand de graisse, forain, maire, arnaqueur, garde du corps du maire, manager d’une chanteuse country, responsable des poubelles, fermier, inventeur, Smithers, Poochie, assistant de star, employé de la central, employé du mini market, baron de la bière, homophobe et missionnaire. Mais protéger Springfield, c’est se qui me satisfait le plus. Mais une vie bien remplie quantitativement est-elle synonyme d'une vie de qualité? Nous pouvons en effet voir qu'Homer est loin d'être un exemple en matière de santé – donc de qualité de vie biologique - : il a de gros problèmes cardiaques, de sérieux problèmes d'addiction (à la nourriture, à l'alcool, à la télévision), souffre de troubles de la mémoire, de l'équilibre etc. La fonction d'autoreproduction d'Homer******** est même mise à mal à cause de son travail à la centrale nucléaire, car il est devenu stérile à cause des radiations. Au-delà du niveau physiologique, Homer trouve souvent que sa vie est très moyenne, voire minable. Dans privé de jet privé (s20), il perd toute confiance en lui et toute notion du bonheur lorsqu'il rentre chez lui et retrouve la plate réalité d'une famille américaine moyenne après avoir voyagé dans le jet privé de Monsieur Burns. Dans ces conditions, pouvons-nous dire qu'Homer a réussi sa vie? Il faudrait avant tout définir ce que nous entendons par le mot ''vie'': voici une tâche difficile, sur laquelle les philosophes ne cessent de s'attarder. Saint-Augustin dans ses Confessions (X) avoue éprouver des difficultés à la définir : ''Qu'est-ce donc que la vie? Si personne ne me le demande, je le sais; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus''. Certains philosophes ont néanmoins tenté d'apporter quelques éléments de réponse. Prenons quelques exemples: – pour Sénèque: ''la vie, c'est une pièce de théâtre: ce qui compte, ce n'est pas qu'elle soit longue, mais qu'elle soit bien jouée'' – pour Schopenhauer: ''souffrir, c'est l'essence même de la vie'' – pour Spinoza: ''nous entendons donc pas vie la force par laquelle les choses persévèrent dans leur être'' (Pensées Métaphysiques, II) – pour Georges Canguilhem:''La vie est expérience, c'est-à-dire improvisation, utilisation des occurrences, elle est tentative dans tous les sens''. (La connaissance de la vie) Le point commun de ces définitions de philosophes: la vie serait quelque chose de … vécu! Une expérience, une action, un jeu, une souffrance... Qu'en disent les scientifiques? Le médecin biologiste Xavier Bichat nous dit au XVIIIème siècle que « la vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort »: Homer a largement eu l'occasion de nous prouver qu'il résistait à la mort au cours de ses aventures, que ce soit en sautant en skateboard les gorges de Springfield, en tentant de battre Dredrick Tattum, ou en tentant d'échapper à la course éffrénée d'un rhinocéros. Le médecin et physiologique du XIXème siècle Claude Bernard quand à lui choisit une formule claire par sa brièveté: ''la vie, c'est la création'' (Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, chapitre II, 2). Homer a eu l'occasion de créer de nombreuses choses: un robot, une mascotte pour les jeux olympiques, une œuvre d'art avec un barbecue... Homer semble donc correspondre aux définitions de la vie, mais il ne semble pas avoir conscience de sa chance (une fois de plus nous voyons à quel point le niveau de conscience d'Homer est différent du nôtre) et reste déçu ou malheureux. Il serait en fait plus juste d'affirmer que c'est la vie qui lui a réussi, et qu'il n'est que l'objet chanceux du destin, non le sujet de son destin; car Homer ne se fixe jamais de but à long terme comme nous en avons l'habitude, il agit selon la situation que la vie lui impose. Au mieux, Homer a des rêves qui lui donnent le goût de vivre, l'espoir: ainsi il explique à Apu dans Le blues d'Apu (s5): ''J'ai appris que la vie c'était rien qu'une suite d'échecs jusqu'à ce que j'en arrive à souhaiter la mort de Flanders!'': la mort de son voisin n'est pas son but, ce n'est qu'un souhait, et il est fort à parier que si Ned mourrait, la vie d'Homer perdrait beaucoup de son sens: il vaut mieux pour Homer que cela ne reste qu'un souhait. Pour lui, ''qui ne tente rien n'a rien'', ou pour reprendre le slogan du loto:'' 100% des gagnants ont tenté leur chance''. L'action est toujours quelque chose de positif pour Homer, elle ne peut être synonyme d'échec. Peu importe si c'est un bon à rien, l'important est qu'il soit prêt à tout.* * * Bien sûr, Homer est momentanément déçu lorsqu'il a le sentiment d'échouer, mais cela est très bref, et à vrai dire, il semble que nous apprenions beaucoup plus de nos échecs que de nos réussites. Homer ne se demande jamais si ce qu'il fait est ou non une réussite, à partir du moment où il tente quelque chose. C'est la prise de risque qui est valorisée: elle seule permet des situations qui nous font passer de la vie monotone à la ''sur-vie'' (un degré de vie supérieur, pensons par exemple aux personnes qui disent qu'ils ne se sont ''jamais sentis aussi vivants'' que lorsqu'ils ont fait du saut à l'élastique). Ce n'est que lorsqu'il n'agit pas, ou se rend compte qu'il n'a rien fait de sa vie , qu'Homer se sent déprimé. On le voit bien dans La dernière invention d'Homer (s10), où Homer a l'impression d'avoir gâché déjà la moitié de sa vie parce qu'il n'a que 3 souvenirs de l'ensemble de sa vie. L'inaction, c'est la mort. Rousseau nous dit en effet dans l'Emile que ''vivre, ce n'est pas respirer, c'est agir […] L'homme qui a le plus vécu n'est pas celui qui a compté le plus d'années, mais celui qui a le plus senti la vie''. Ce serait donc l'intensité des actions qui déterminerait le degré de vitalité, et dans ce cas, même s'il arrive à Homer d'échouer dans ses projets, nous pouvons dire qu'il n'y a pas d'être qui vive plus intensément que lui.
Dans
le bus fatal (s9), un dialogue entre Lisa et
son père souligne bien que
le sens de la vie est directement lié à l'action et au risque qui en
découle :
Lisa : J’aurai du savoir que j’étais trop jeune pour prendre le bus toute seule, mais j’avais tellement envie de voir cette expo. Je prendrai plus jamais de risques pareils, c’est idiot. [Homer freine brusquement] Homer : Que je t’entende plus jamais dire ça ! Lisa : Quoi ? Homer : Si j’avais pas prit des risques en montant dans cet élévateur, je t’aurai jamais retrouvé ! Lisa : Sans doute. Homer : C’est ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue. Ta mère par exemple, c’est quelqu’un de raisonnable et c’est bien, mais à petites doses. Et moi, je suis un risque-tout, c’est pour ça qui m’arrive plein d’aventures ! [La voiture se met à descendre la rue en pente] Lisa : Ooooh papa ! Tu fonces encore vers la rivière ! Papa ! [Homer reprend contrôle de son véhicule et freine] Homer : Hi hi hi ! T’as le cœur qui bat à 200 à l’heure ? Eh ben le mien il fait ça sans arrêt !... T’as aussi une douleur au bras gauche, hein ? Lisa : Papa, tu es sûr que ça va ? Homer : Je profite trop de la vie pour penser à ça. Et tu devrais en faire autant. Alors, qu’est-ce que t’aimerais faire là, tout de suite, plus que n’importe quoi ? En clair, Homer le ''risque-tout'' incarne la vie elle-même, aussi bien la vie végétative que les vies animale et humaine, et il ne s'agit pas de déterminer si cette vie est réussie ou non, mais si cette vie est ou non. En effet, la question de la réussite de la vie a peu de sens, puisque la vie est un mouvement incessant qui remet sans cesse en cause tous les états apparemment stables, et que les réussites ne sont que des adaptations provisoires. A l'extrême opposé d'Homer, Marge est le personnage le moins ''vivant'': elle n'ose ni vivre des aventures folles, ni se faire plaisir (elle renonce par exemple à s'acheter une paire de chaussures à New York sous prétexte qu'elle en a déjà une paire!). Marge ne s'amuse jamais alors qu'Homer est maître dans l'art de profiter de la vie (il tente d'ailleurs de transmettre ce don à Ned Flanders, autre personnage ne sachant pas s'amuser, dans l'épisode Fiesta à las Vegas). C'est son absence de conscience (du danger, de l'avenir, morale) et sa simplicité, qui lui permettent d'avoir un degré de vie si élevé, car la vie n'est pas un savoir, mais un pouvoir de se sentir, de s'éprouver soi-même. La vie ne s'acquiert pas par la connaissance, elle est une force et un affect. (cf Michel Henry). Homer doit probablement se sentir le plus vivant lorsqu'il remplit son estomac à coups de côtelettes de porc, de hot dogs, de beignets, de Duff et de pizzas (âme végétative). A travers la nourriture, tous les sens d'Homer sont exacerbés, beaucoup plus que la moyenne humaine: il est capable de décrire un gâteau (et de lire ce qui est écrit dessus) rien qu'en le sentant, d'entendre un pudding (cf épisode La critique de lard, s11). La synesthésie (association des sens) ne fait qu'amplifier le plaisir ressenti. Homer suit la plupart du temps le fameux ''Carpe Diem'' d'Horace* *, qui fait du plaisir (procuré par le sexe ou les plaisirs de la table) le souverain bien. (''Carpe diem (quam minimum credula postero), «Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain»''). En bon hédoniste, il cherche également à éviter les déplaisirs (tels que les tâches ménagères, les diners avec Patty et Selma, aller à la centrale...). C'est grâce à la nourriture qu'il peut croquer la vie à pleines dents. Pour être vraiment vivant, l'érudition est inutile -et heureusement pour Homer! - pire, elle peut lui être néfaste : rester plongé dans le gris des papiers ne fait que nous éloigner d'une vie haute en couleurs. Connaître la vie, c'est vivre, c'est être l'acteur de sa vie, c'est aussi créer, aimer, voyager... Ainsi, il ne semble pas exister d'être connaissant mieux la vie qu'Homer Simpson (excepté Dieu) – alors que tant de personnes ont peiné à définir la vie-. Il accède même au degré de connaissance suprême du sens de la vie, dans Homer l'hérétique (s4), lorsqu'il le demande à Dieu au paradis (mais le générique de fin de l'épisode coupera la réponse). C'est probablement l'une des raisons pour laquelle Homer a été nommé ''l'homme de la décennie'' par le magazine britannique Men’s Health (en 2005) (voir http://www.suchablog.com/homer-simpson-elu-homme-de-la-decennie), ce, dans la catégorie philosophe! Homer vivrait ce que bon nombre d'entre nous – surtout Frank Grimes - qualifieraient d'une vie de rêve : une famille qui l'aime, un travail peu stressant, une belle maison, des actes que seuls une poignée d'homme réussissent dans leur vie... Homer est en quelque sorte un Forrest Gump (cf Tout sur Homer, s10), le sport en moins: pas très futé, mais vivant pleinement. Il incarne la vie elle-même, car il est pleinement libre, et maître de lui-même. Personne ne semble mieux connaître la vie qu'Homer Simpson, si ce n'est Dieu. Peut-être Homer est-il le fameux chaînon manquant dans la théorie de l'évolution: un homme véritablement libre. Ou peut-être est-il simplement l'enfant que nous avons chacun en nous: quoi de plus vivant qu'un enfant? Pour trouver le bonheur, peut-être faudrait-il suivre l'indication qu'Homer a lui-même livrée aux habitants de Springfield: « Vous devez apprendre à découvrir le petit Homer Simpson qu'il y a en chacun de nous. » (en considérant cette phrase hors contexte, étant donné que dans cette scène précise, Homer est un monsieur sécurité, qui fait en sorte de ne prendre aucun risque, ce qui est à l'exact opposé de son vrai tempérament.) _______________________ *pour citer
Jean-Jacques Goldman
**sources: http://www.maphilo.net/vivant-cours.html ; et http://www.astropolis.fr/articles/Biographies-des-grands-savants-et-astronomes/Aristote/astronomie-Aristoteles-Aristote.html#zoologie *** Le premier mot de Lisa, saison 4, Homer : ''C’est pas facile de jongler avec une femme enceinte et un gamin agité, mais l’un dans l’autre j’arrivai quand même à me taper mes 8 heures de téloche par jour.'' **** époque héllénistique – environ jusqu'à 100 après JC, soit jusqu'à l'époque incluse de Lucrèce, Sénèque et Pline. *****Selon Bergson : ''le rire est le propre de l'homme'' (il reprend cette expression de Rabelais dans Gargantua.) ****** http://www.bacrie.com/pcbcr/freud.html#26 ******** La vie a 4 fonctions : l'autorégulation (harmonisation, synchronisation des parties), l'autoconservation (capacité à se maintenir), l'autoreproduction (capacité à propager la vie), l'autoréparation. * * Attention à ne pas confondre avec l'épicurisme, qui prône le ''plaisir'', mais ne fait pas allusion par ce mot aux plaisirs sensuels ou sexuels. Voir http://www.willeime.com/Epicure-interpr.htm * * * Souvenirs dangereux (s20) Patty : ''Ouais, je fais pas confiance à ce Homer Simpson. Il est la rare combinaison d’un type prêt à tout et d’un bon à rien. '' |