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Bart = Brat ?

Bart n'est-il qu'un ''sale gosse'' ?


bart simpson


Nietzsche – Sartre – Spinoza - Descartes – Hegel - Buridan – Mounier – Machiavel – Platon

Liberté – Autrui – Morale – Existence

        Mark T. Conard, dans l'article Thus Spoke Bart, in The Simpson and Philosophy cherche à savoir si Bart a une attitude correspondant à la philosophie de Nietzsche, ''the philosopher's bad boy'' . Il en rappelle quelques traits, notamment: la volonté de dépasser la distinction traditionnelle entre le bien et le mal que nous devons au christianisme, d'avoir le courage de regarder la vérité en face, de vivre sa vie comme une œuvre d'art (de créer), de se méfier des structures de notre langage, de la grammaire (notamment du fait que nous séparions le sujet du verbe d'action, alors que le sujet n'est rien: c'est le verbe qui exprime en l'incluant le sujet agissant), de rompre avec l'idée platonicienne selon laquelle l'être est une unité stable pour affirmer que l'ego n'est que flux et qu'il faut tenter de construire sa propre identité, d'affirmer ses talents et capacités, et de se surpasser.

            En nous appuyant sur l'étude de Conard, nous tenterons de savoir quels points communs et quelles différences existent entre le mode de vie de Bart et la philosophie nietzschéenne, et de répondre aux questions suivantes: quelle est l'identité de Bart? Bart peut-il exister sans la rébellion envers le monde qui l'entoure? N'est-il qu'un esprit de contradiction et de rejet de l'autorité? N'est-il que réactionaction, de création? Bart est-il nécessairement mauvais ou y-a-t-il des traces de bon en lui? au monde, ou est-il capable lui aussi d'

 

''Regarde-moi, je vais faire quelque chose !''*****

 


            Bart a besoin de reconnaissance: il ne forge son identité que si les autres prêtent attention à ses actes. (Il a ainsi eu du mal à accepter la naissance de Lisa quand il était petit, car il n'était désormais plus le centre d'attention). C'est sans doute la raison pour laquelle il commet tant de bêtises: son but principal est d'attirer l'attention. Je n'existe que pour autrui, ou comme Sartre le rappelle:"J’ai besoin de la médiation d’autrui pour être ce que je suis". Cela est particulièrement vrai pour Bart. Si personne ne fait plus attention à ses actes – qui sont pour la plupart des bêtises – Bart risque de perdre son identité et peut-être tout goût pour la vie. Bart manifeste sa peur de ''disparaître'' à de nombreuses reprises: dans Lisa s'en va-t-en guerre (s5), toute la famille ignore totalement Bart et se consacre à la création d'une poupée concurrente à la Malibu Stacy, en compagnie de Stacy Lovelle. Celui-ci ne supporte plus ce manque d'attention:

Bart : [il saute sur la canapé] Non ! Lisa grande gueule ! Lisa la guenon idiote ! [il grimpe sur le dossier] Je peux plus supporter ça, je peux plus. Occupez-vous de moi s'il vous plaît ! Hé, hé ho ! Vous vous occupez de moi ? Regardez-moi, je suis Bart. Regardez-moi, regardez-moi...

On remarque également dans Le gay pied (s14), que Bart cherche absolument à parler pour faire partie du groupe ''famille'', pour être existant, même s'il n'a rien à dire:

Lisa : C’est épouvantable ! C’est comme écouter la symphonie inachevée de Schubert !
Homer : Ou quand j’ai pas enregistré la fin de « La ville amour, les vaches ».Est-ce que Boucle d’or était qu’une légende ?

Bart : Ou quand... [Les Simpson le regarde] J’ai rien a dire.

Ou encore, dans Le Safari des Simpson (s12), où la famille rencontre le docteur Bushwell et découvre qu'elle exploite les chimpanzés :
Lisa : Comment avez-vous pu exploiter ces pauvres chimpanzés ?
Bart : On devrait jeter un coup d'oeil àson travail de recherche avant de la condamner...[Tous les regards se tournent sur Bart]
Bart : ... Euh... j'avais rien dit depuis un bout de temps...
Bart sait bien ici que le travail du docteur est malhonnête (les preuves sont évidentes), mais ne peut s'empêcher de donner un avis – contradictoire une fois de plus – pour que les regards se tournent vers lui.
            L'exemple le plus parlant est sans doute celui de Elémentaire mon cher Simpson(s21), où Homer et Marge décident de ne plus faire attention aux bêtises de leur fils. Lorsqu'il décide de conduire le vieux métro de Springfield, ce qui entraîne une chaîne de tremblements de terre dans la ville et détruit de nombreux bâtiments, et qu'il s'aperçoit qu'Homer s'en moque complètement, Bart a le sentiment que quelque chose ne va pas. Nelson lui fait alors remarquer que si une farce ou une bêtise n'est pas punie par une figure autoritaire, alors elle est ratée. Bart fera alors tout pour se faire remarquer – exister (aux yeux d'autrui) – en faisant une bêtise plus grosse encore, et en laissant un indice pour que quelqu'un sache qu'il allait la commettre. Lisa lui fait d'ailleurs remarquer à la fin de l'épisode: ''tu voulais te faire prendre !?''. Emmanuel Mounier (philosophe français du XXème siècle) nous dit: "Je n’existe que dans la mesure où j’existe pour autrui, à la limite, être c'est aimer''. C'est effectivement le cas pour Bart, qui, sans quelque attention de la part de personnes qui veulent son bien, qui l'éduquent, n'a plus aucune raison d'exister. D'ailleurs, lorsqu'il se sent mal-aimé par toute la ville (comme dans L'équipe des nuls, s18, suite à une partie de baseball où il a manqué de rattraper une balle très simple), Bart se met à se détester lui aussi, et va jusqu'à risquer sa vie; il perd toute raison de vivre s'il n'est pas admiré ou respecté.  Bart veut d'autant plus être aimé qu'il souffre – comme ses sœurs – d'un manque d'attention paternelle évident, et d'autant plus qu'on l'encourage ou le félicite qu'il a peu de confiance en ses capacités intellectuelles.
            Bart veut être connu et reconnu par un maximum de personnes, et continuer à exister après sa mort: c'est pourquoi il espère qu'en écrivant son nom dans le ciment frais, les hommes du futur le perçoivent comme un être d'une intelligence bien supérieure à celle de sa sœur Lisa dont ils ne savent strictement rien. Voilà pourquoi il signe également ''El Barto'' sur tous les murs publics de la ville, ou qu'il écrit en grands caractères son prénom en faisant brûler le gazon de l'école.       
            Bart ne semble forger son identité qu'en se rebellant envers les règlements. S'il n'y a plus de règles, que reste-t-il de Bart? Apparemment rien, si l'on en croit l'épisode Bart enfant modèle (s5)! Dans cet épisode, toute la ville suit l'enseignement de Bart ''je fais ce que j'ai envie de faire'', suite à une intervention du psychologue Brad Goodman, et reproduit ainsi les mêmes bêtises: répondre en classe avec une pointe d'humour, monter dans un arbre et tirer sur les gens en disant ''vas te faire shampooiner'', ou cracher du pont sur les voitures qui passent. Bart semble désespéré car il ne peut plus se différencier du reste de la population, il perd sa singularité, et cherche donc à savoir auprès de Lisa ''pourquoi [il] trouve ça craignos ?''. Celle-ci lui répond donc que Bart a perdu son identité, et qu'il doit s'en trouver une autre, d'une certaine manière comme Nietzsche l'aurait préconisé. (néanmoins l'identité qu'elle lui propose , ''chiffe-molle bonasse'', est tout à l'opposé des idéaux du philosophe allemand).  
            Autrui n'est pas qu'un simple complément à l'identité de Bart, il en est l'identité. Sigmund Freud nous indique dans Essais de psychanalyse: ''Autrui joue toujours dans la vie de l’individu le rôle d’un modèle, d’un objet, d’un associé ou d’un adversaire". Pour Bart, celui qui joue le rôle du modèle est principalement Krusty le clown, le rôle de l'associé, souvent Lisa pour déjouer les tours de Tahiti Bob, ou de l'équipe scolaire, le rôle d'un adversaire, Skinner, Tahiti Bob, parfois Lisa. Quant à l'objet – l'objet de ses bêtises, le moyen pour qu'il puisse prendre du plaisir – il peut être n'importe qui: Homer, Marge, Lisa, Skinner, Krapabelle, les Flanders, Milhouse, etc. Il faut noter que Bart, qui veut tant être respecté par les autres, c'est-à-dire être considéré comme un sujet et non comme un objet, comme une fin et non comme un moyen, n'en fait pas autant vis-à-vis des autres. Mais comment pourrait-il exiger le respect envers des personnes qu'il ne respecte pas?!
 

''Je fais ce que j'ai envie''
 
            Comment Bart conçoit-il la liberté? ''Je fais ce qu'il me plaît dans ma bulle'', dit-il dans La double vie de Lisa, s13. La liberté, pour Bart, c'est de pouvoir faire ce qu'il a envie de faire, indépendamment des conséquences pour autrui, indépendamment des interdits moraux ou légaux. Descartes pense que la possibilité de faire n'importe quoi  - et par conséquent, de ne pas être capable de choisir entre deux situations puisqu'elles sont toutes deux équivalentes - constitue le plus pas degré de liberté. Ce degré de liberté – la ''liberté d'indifférence'' – est bien illustré par l'histoire du philosophe Buridan (XIVème siècle) parlant d'un âne imaginaire, qui ayant autant faim que soif, ne sait pas que choisir entre un seau d'avoine et un seau d'eau, et finit par mourir, (parce qu'il n'a pas été capable de choisir entre les deux seaux). Pour Descartes, la vraie liberté, c'est celle qui nous permet de choisir le bien,  c'est la liberté morale. Or il y a peu de chances pour que Bart choisisse d'agir en vertu du bien: bien au contraire, Bart cherche à semer le désordre, à enchaîner les mauvaises actions. Bart serait donc selon Descartes un être à la liberté bien limitée. Pourtant, nous voyons que Bart n'est pas au stade de la liberté d'indifférence: il sait choisir entre deux situations critiques par exemple dans Bart et son boys band (s12)(aller vers une foule en colère après lui, ou aller dans la voiture d'un inconnu qui lui dit de monter; il choisira la seconde option, ce qui lui sera bénéfique). Bart n'est donc ni totalement libre, ni au niveau de la liberté d'indifférence.
            La conception que se fait Bart de la liberté est celle de la liberté négative: c'est ne pas obéir, ne pas être esclave ou soumis. Comme il le dit dans L'indomptable (s17) (titre très évocateur) ''Bart Simpson ne reçoit d'ordre de personne''. Bart veut rester maître, et nous le voyons très clairement dans sa relation avec son meilleur ami Milhouse. Mais nous pouvons dire que Bart est en partie libre positivement (au sens où la liberté positive désigne la possibilité de faire ce que l'on veut, de déterminer soi-même nos actes ou encore d’atteindre un but fixé, alors que la liberté négative désigne l'absence de contrainte): les contraintes externes existent, avec menace de punition, mais il sait dépasser ces contraintes, se donner les moyens d'atteindre ses buts.
            Tous les philosophes ne s'accordent pas sur cette définition de la liberté: alors que Descartes oppose la liberté à la nécessité (= ce qui ne peut pas ne pas être; ce qui est forcément), Spinoza oppose la liberté à la contrainte. Ce dernier nous dit dans l'Ethique: ''J'appelle libre une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature: contrainte celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir d'une certaine façon déterminée''. Est libre ce qui agit sans contraintes extérieures: Dieu est ainsi libre, et il est bien le seul: en effet, l'homme doit se défaire de l'illusion qu'il est libre, car il est en réalité déterminé par des causes (qu'il ignore). Si Bart cherche à s'affranchir des contraintes imposées par ses parents et la société; il n'en est pas pour autant libre. Dans une lettre à Schuller de 1674, Spinoza montre qu'une pierre qui roule dans une pente et qui prendrait conscience d'elle-même croirait qu'elle est libre, alors qu'elle ne se meut en fait que par un simple effet mécanique. Bart a donc beau taguer El Barto sur tous les murs alors que la société le lui interdit, ou partir voir le concert de Fifty Cents alors que ses parents le lui ont interdit, et croire ainsi qu'il est totalement libre de faire ce qu'il lui plaît, il agit en réalité sous l'empire de ses passions et ses pulsions (de même que le pochtron, le colérique, le dément ou le bavard). Il s'agit bien d'une contrainte, dont il ignore le pouvoir, qui détermine ses actions. Lorsque Bart fait donc des choix, il ne s'agit pas d'une décision rationnelle, mais du balancement hasardeux vers une direction ou une autre poussé par ''le plus léger motif'' (Ethique, IIIème partie, proposition II). Alors que Bart croit être libre, Descartes et Spinoza diraient donc qu'il ne l'est pas.
 
''Tu es mauvais, Bart Simpson''**?
 
            Les actions de Bart sont souvent contraires aux règles (légales, morales), ce qui fait que nous les considérons comme ''mauvaises''. Bart est régulièrement comparé à ''des démons aux cheveux hérissés'' (selon Lisa dans La fugue de Bart, s2), il entretient de bonnes relations avec le diable ou l'enfer lors des épisodes d'Halloween, il incarne même le diable à la fin de Maggie s'éclipse (s20), contrastant avec Maggie qui est ''l'enfant joyau'' censé apporter la paix dans le monde. Il devient pendant un court instant l'héritier du diabolique monsieur Burns. Il est d'ailleurs choisi pour ses actions malveillantes, parce que ''c'est le diable en personne'' (casser les vitres de sa maison, remplir sa voiture d'eau et casser les têtes des statues posées dans son jardin), et après quelques leçons d'éducation pour le modeler à son image et un costume qui lui voûte le dos, la ressemblance entre les deux personnages est frappante (on notera de plus qu'il a le même groupe sanguin). Ce n'est qu'en préparant des bêtises qui provoqueront le malheur des autres que Bart est satisfait et rit diaboliquement. Cela fait-il de lui un être absolument mauvais?
            Analysons cet extrait de La Réponse de Bart (s21):
Edna (enervée): J'ai toujours cru qu'il y avait une étincelle de décence en vous Bart Simpson, mais j'avais tort! Je n'aurais jamais cru dire ça à un enfant mais tu es mauvais dans le fond! (Bart inspirant, choqué) [Scène suivante] (Bart assis dans sa chambre, triste. Homer passe dans le couloir). Bart: P'pa! Est-ce que je suis mauvais dans le fond? Homer: Non! Mais les couches de mauvais à la surface ont tendance à descendre chez toi. Bart(pas rassuré): mais tu crois qu'il y a une graine de bon au fond de moi? Homer: Euh je sais pas, une graine c'est pit'être beaucoup
Bart(déçu): Ooh! Ecoute j'ai réfléchi. (il prend sa thermos Krusty sous son lit et la secoue) Si quelqu'un a fait quelque chose de mal à un prof, et qu'ensuite il a fait quelque chose d'aussi mal à un autre prof pour que le premier prof retrouve son boulot, est-ce que ça pourrait aller?
 
            Edna Krapabelle, vient de perdre son travail d'enseignante après avoir été alcoolisée à son insu. Bart lui rend alors visite de temps à autres, et l'aide à lui remonter le moral à l'aide d'un livre pseudo scientifique/mystique intitulé ''La Réponse''. Cet ouvrage est censé nous aider à réaliser nos rêves. Edna confie qu'elle rêve d'ouvrir une boutique de muffin: elle y parvient grâce au soutien de Bart. Ce dernier se sent alors moins coupable de ses actes passés et lui avoue que c'est lui qui est à l'origine de son renvoi. L'ancienne institutrice entre dans une folle rage: loin d'être à demi-pardonnée, la faute est amplifiée sous le coup de la colère. Edna lui dit que Bart est ''mauvais dans le fond''. Mais cette affirmation n'est, comme nous l'avons vu, pas rationnelle (elle ne pense pas vraiment ce qu'elle dit), premièrement parce qu'il ne commet pas que de mauvaises actions, deuxièmement, parce qu'il regrette souvent ses mauvaises actions, qu'il a un surmoi, et qu'il tente en général de les réparer. On voit ici qu'il tente d'aider son ancienne maîtresse à retrouver un emploi, on voit également qu'il tente de sauver la carrière de Krusty à plusieurs reprises, alors que sa chute est en partie due à lui, alors que personne ne croit plus au succès du clown. Enfin, la déclaration d'Edna est d'autant plus fausse qu'aucun être ne peut être entièrement mauvais. Machiavel nous rappelle dans Le Prince, que ''les hommes ne savent être ni entièrement bons, ni entièrement mauvais.''. Et le fait que Bart s'interroge et s'inquiète sur la qualité de sa nature (bon ou mauvais) prouve qu'il ne peut pas être totalement mauvais. Une fois de plus, Homer est proche de la vérité sans nécessairement s'en rendre compte, en disant que le bon fond de Bart est peut-être très enfoui, mais existant.
            Un homme ne se définit que par ses actions. Ainsi, celui qui ne commet que de mauvaises actions -si un tel homme pourrait exister - est un mauvais homme.  Jean-Paul Sartre montre dans l'existentialisme est un humanisme: ''L'homme n'est rien d'autre que son projet, il n'existe que dans la mesure où il se réalise, il n'est donc rien d'autre que l'ensemble de ses actes, rien d'autre que sa vie.''. Mais Bart ne commet pas que de mauvaises actions: il lui arrive d'avoir du cœur, de faire preuve d'une grande solidarité ou de compassion. On voit en effet qu'il est prêt à dépenser 500 dollars (et à renoncer au ''pog ultime'') pour acheter le CD de feu Gencives Sanglantes pour remonter le moral de Lisa, qu'il fait tout pour sauver les bébés  lézards qu'il a élevés malgré leur apparence hideuse (il ne voulait pas tuer un être vivant dans cet épisode, mais l'a fait accidentellement), qu'il partage sa glace deux-boules avec Lisa quand il était petit, qu'il l'a soutient et l'encourage à l'école militaire en sachant qu'il perdra l'estime de tous ses camarades masculins, qu'il est prêt à se marier avec Marie la fille de Cletus pour éviter qu'on tue son bœuf Lou, à donner l'argent d'un concert de soutien de jazz pour ouvrir le centre Lisa Simpson pour les animaux. Si les actions malveillantes de Bart ne se comptent plus, les actions dites ''nobles'' sont également très nombreuses, mais rarement remarquées car les scénarios ne s'y attardent pas, et nous ne voyons pas Bart savourer ces instants.
            Les scénaristes se moquent parfois de la faiblesse de son surmoi (ou conscience morale), de son absence de culpabilité, en remplaçant cette notion par un autre phénomène physique chez Bart (Lisa qui met une cassette audio sous le lit de Bart avec des cris d'animaux, comme signal d'alerte de la conscience de Bart pour qu'il cesse de manger de la viande; une démangeaison dans la nuque censée être un effet psychosomatique du au sentiment de culpabilité est en réalité une petite araignée dans sa nuque) néanmoins ce surmoi existe. Sans cette conscience morale, Bart n'hésiterait pas avant de tirer sur un oiseau, de voler l'argent de la quête, d'aller au cinéma sans payer, et ne se sentirait pas mal d'avoir fait renvoyer le principal Skinner.
            Bart est l'anagramme de ''brat'', terme anglais signifiant familièrement ''sale gosse''. Matt Groening a très probablement choisi ce prénom pour cette raison. Il est vrai que Bart est l'archétype du garçon qui ne fait que des bêtises, ne respecte aucune règle, ou comme dirait Homer: ''c'est le genre de gosse qu'on adore détester''*. Qu'il s'agisse de faire exploser une canette de bière pour le 1er avril, de tenter de sauter au-dessus des gorges de Springfield en skateboard, ou d'organiser un faux mariage pour récupérer tous les cadeaux, Bart est toujours fier de faire enrager toutes les personnes qui représentent l'autorité pour lui, particulièrement Homer et le proviseur Skinner. On remarquera que Bart cherche rarement à agacer Marge par ses bêtises car celle-ci ne représente pas vraiment l'autorité pour lui. Il lui fait d'ailleurs remarquer que ''c'est la première fois que je te vois comme quelqu'un qui représente l'autorité'' lorsqu'elle est habillée en gendarme (Springfield Connection, s6). Bart est donc une sorte de Denis la malice, un blondinet avec son fidèle lance-pierre dans la poche arrière, cherchant à accomplir une nouvelle bêtise avec toujours plus d'imagination et d'ingéniosité. Mais ce n'est pas parce que c'est un vilain garnement que Bart est un être absolument mauvais.
            En vérité, Bart ne cherche jamais le mal comme une fin, mais simplement comme un moyen pour atteindre ses buts. Son but dans la vie, c'est de rire, ce qui implique quasi systématiquement de se moquer d'autrui ou de son malheur. Rien à voir avec les valeurs de partage, de charité et de compassion enseignées par le christ. (C'est probablement pour cette raison que Bart adore regarder Itchy et Scratchy à la télévision, ce cartoon où le chat et la souris se mutilent, se frappent, se mordent, et où les notions de solidarité et d'amour n'existent pas). Or, pour provoquer des situations prêtant à rire, il faut braver les interdits, prendre des risques. Son but n'est pas le mal absolu (''Tu vas faire de moi un criminel alors que je veux juste être un petit voyou''). Il s'approche ainsi, d'une certaine manière, de la philosophie utilitariste. La fin justifie les moyens: pour atteindre son but (généralement son plaisir, son amusement), Bart est prêt à user de n'importe quel moyen, et c'est encore plus jouissif lorsque le moyen est considéré comme un mal. 
            L'attitude de Bart n'est pas amorale mais immorale. En effet, il connaît parfaitement la frontière entre le bien et le mal, mais choisit volontairement le mal. Il viole consciemment les principes de la morale. Nous pouvons donc dire que Bart est ''machiavélique'', au sens courant (c'est-à-dire rusé et démoniaque), mais non au sens historique (relatif à Machiavel). Puisqu'il sait que ce ne sont pas de bonnes actions, Bart ne peut pas être hors du champ de la morale: or, Machiavel dépasse le champ de la morale chrétienne traditionnelle lorsqu'il présente ses idées politiques. Le florentin libère la politique de la religion; il propose une technique (par définition, amorale) pour instaurer un ordre politique stable et pacifique.
 
Lisa et Bart: la thèse et l'antithèse
 

            Toujours en opposition avec le monde, Bart contredit souvent Lisa, non dans le but de débattre pour atteindre une quelconque vérité, mais uniquement pour le plaisir de contredire. Nous le voyons dans cet extrait de La fugue de Bart (s2):
Homer : Bart ! Arrête de te battre avec ta soeur.
Bart : Elle a pris ma colle.
Lisa : Elle est pas à toi Bart, c’est la colle de la famille [Bart et Lisa se battent pour la colle]
Homer : Ça suffit vous deux, c’est Thanksgiving aujourd’hui, alors essayez de coller tous les deux ou je balance cette colle, et je vous en colle une par-dessus le marché.
Lisa : C’est pas une question de colle papa, c’est une question de territorialité, il a besoin de la colle uniquement parce que je m’en sers.
Bart : Ah! Ouais! Prouve le.
Lisa : [elle lui donne la colle] Tiens !
Bart : Je n’en veux plus de cette saloperie ! [Il jette le tube, Lisa le ramasse]
Nous pouvons remarquer dans ce passage qu'Homer cherche - comme souvent - à dépasser le débat Bart-Lisa, il est la synthèse, là où Lisa énonce la thèse (je peux utiliser la colle), et Bart, l'antithèse (tu ne peux pas, elle est à moi). Lorsque Lisa pose une thèse, Bart oppose, et l'un des parents compose.
            Si Bart n'est que l'antithèse, il ne peut exister sans la thèse. Si les deux enfants semblent totalement différents et opposés, leur couple forme une unité parfaite. Selon la dialectique hégelienne, chaque chose contient son contraire/ est une unité de contraires. Il n'y a pas la vérité plus l'erreur, ou le vrai plus le faux, car il suffirait d'enlever le faux pour qu'il reste le vrai. En effet, il n'y a pas d'ignorance absolue ni de science absolue étant donné que l'objet de la connaissance est inépuisable. (Ce que les scientifiques identifient comme étant le principe d'incomplétude). En réalité, les deux sont liés et n'existent qu'ensemble. Nous observons cette même relation entre Bart et Lisa. Ils sont complémentaires, et leurs idées sont généralement en opposition. Lisa est le yin apaisant de Bart, le yang turbulent. Les idées de Bart étant simplement dans la négation ou l'opposition, elles ne peuvent exister sans une thèse extérieure (celle de Lisa ou de la société). Par exemple, si Lisa dit: c'est toi qui aimes plus papa que moi, Bart répondra que non, c'est elle et pas lui. Si Lisa lui dit qu'on ne trouve pas de mulot en conserves dans les placards en lui expliquant qu'il s'agit d'une sorte de rat, Bart rétorquera le contraire, sans réfléchir, en brandissant une boîte de conserve sur laquelle il est écrit... maïs. La contradiction de Bart n'est donc pas toujours rationnelle – et il en est conscient - : Bart contredit pour le plaisir de contredire, car s'il ne contredit pas, il n'a peut-être rien à dire, et a peur qu'on ne s'intéresse plus à lui. Dans le même registre, on trouve d'autres exemples comme Lisa disant que les  animaux qui sortent des œufs dont Bart s'est occupé sont des lézards, et Bart répondant instantanément ''c'est toi le lézard!'' (Lézards populaires, s10).
            Lors des débats entre Bart et Lisa, les deux enfants ont des difficultés à dépasser ce dualisme (mode de pensée que l'on trouve fréquemment en philosophie: la distinction entre le bien et le mal, la terre et le ciel, le monde des choses et celui des Idées, le corps et l'âme etc.), et ne parviennent que rarement à dépasser leurs oppositions. Si bien que le débat se transforme vite en combat à mains nues. Ils ont alors besoin d'un troisième agent – la synthèse – pour mettre fin au désaccord et trouver une solution qui dépasse l'antagonisme. Cette synthèse peut se nommer Marge, mais surtout Homer. Le débat Bart-Lisa ne donne que très rarement une synthèse créative.
dialectique hegel
source image : http://www.pep-web.org/document.php?id=joap.039.0083.jpg
        En proposant presque systématiquement l'antithèse, et non la thèse ou la synthèse, Bart a besoin pour vivre d'un ennemi, d'un opposant qu'il doit chercher à battre. Lorsque Bart perd ses ennemis, il ne se sent plus heureux. L'épisode ''Un ennemi très cher'' (s5) indique dès le titre la dépendance de Bart envers l'un de ses rival: le proviseur Skinner. Ce dernier est retourné travailler à l'armée suite à son renvoi de l'école, et après avoir passé un peu de bon temps avec Bart à la laverie ou chez sa maman (Agnès). Bart avoue lui-même à Lisa: ''C’est bizarre, Lisa. Il me manque comme ami et encore plus comme ennemi.''. Sa sœur lui explique qu'on a tous besoin d'un ennemi, (même Maggie et le bébé Gérald au gros sourcil). Il est également difficilement envisageable de penser que Bart puisse se passer de son ennemi mortel Tahiti Bob, car il sait très bien qu'il n'arrivera jamais à le tuer, mais qu'il s'agit d'un simple jeu à la Itchy et Scratchy. Tahiti Bob est pour lui une distraction, un moyen de mettre du piment dans sa vie.
 
Bart, l'anti-philosophe
 
            Bart n'a habituellement pas l'attitude du philosophe, du curieux, de celui qui a une grande capacité de questionnement, d'étonnement (étonner, du latin populaire extonare, du latin classique attonare, frapper de la foudre). Sa faible capacité à s'étonner, son manque de curiosité s'expriment déjà au niveau de son corps:il ne remarque pas qu'il a une affreuse cicatrice sur le côté du ventre, due à une opération à sa naissance pour le séparer de son frère siamois, ou de celle qu'il a sur la main en forme de mini épée due à une brûlure étant petit lors d'un 4 juillet. D'un point de vue idéel, la curiosité de Bart est à un très faible niveau: il ne cherche jamais à accroître ses connaissances, ne veut pas apprendre de nouveaux mots, ne souhaite pas tenter de mieux comprendre le monde. Parce qu'il ne se donne aucun but de découverte, Bart ne veut rien créer.
            A la manière de Nietzsche, Bart rejette plusieurs concepts platoniciens. Il rejette ainsi, comme Nietzsche la séparation entre le corps matériel et l'âme immortelle, comme on le voit dans Bart vend son âme (s7), où Bart vend à Milhouse son âme contre 5 dollars en écrivant sur un morceau de papier ''Bart's soul''. Il n'accorde aucune valeur à son âme. Tous deux s'opposent également à la séparation entre le monde des apparences et le monde réel: ils sont en réalité une seule et même chose. Nietzsche ne voit dans cette séparation qu'une suggestion de la décadence, un symptôme de la vie déclinante. Nous voyons que Bart n'a pas d'idéaux, il croit ce qu'il voit et ne se pose pas de question sur l'essence des choses, et ne cherche pas la Vérité dans le monde des Idées. Il n'existe pour tous deux que la vie sur terre, le monde « ici-bas », le monde matériel éphémère et apparent de Platon, c'est tout. Autre différence par rapport à Platon, Nietzsche pense que les hommes ne doivent ni chercher à être semblable à la divinité, ni être les marionnettes avec lesquelles les dieux jouent. Bart se moque totalement de ce que peut penser Dieu – à la différence de Marge ou les Flanders par exemple – et ne s'intéresse qu'aux jeux du monde terrestre. Platon et Nietzsche pensent tous deux qu'il faut prendre le jeu au sérieux, néanmoins Platon parle du jeu divin ou métaphysique, alors que Nietzsche (comme Bart) parle du jeu humain, distraction, allègement nécessaire à la survie de l'homme.******
            Mark T. Conrad nous indique que Bart n'a pas (ou peu) de vertus, pas d'esprit créatif, qu'il rejette les valeurs actuelles (trop marquées par la morale chrétienne, le platonisme et le cartésianisme) et qu'''il a accepté le chaos de l'existence, mais pas de façon à en former et forger quelque chose de beau; il l'accepte et en parle avec une sorte de résignation.''. Il ne ferait donc que détruire ces valeurs, mais sans en créer de nouvelles. Le nihilisme de Bart serait donc un danger, car il consiste à ne rien prendre au sérieux, et à croire que rien n'a de valeur. Si Nietzsche cherche lui aussi à rompre avec les valeurs traditionnelles de notre culture occidentale, il défend un esprit créateur et la force de se forger une identité solide. Conrad nous dit que ce n'est pas le cas de Bart. Ceci est peut-être contestable****: il arrive que Bart fasse de son rejet du monde et de ses valeurs quelque chose de créatif, comme dans sa bande dessinée Papa Furax, qu'il finira par produire en dessins animés sur internet, et en film au cinéma. Mais ces cas restent isolés. Même dans Bart Business (s16), où il crée une gamme de tee-shirt (dont les ventes explosent) sur lesquels il écrit ses propres messages, l'activité créatrice se réduit soit à exprimer son désir d'être admiré et de rester maître (avec le message ''à genoux''), soit à rejeter la vie, l'école, la société sans proposer de nouvelles idées (avec les messages ''la vie, c'est nul'', ''les adultes sont nuls et un jour tu en es un'', ''ce tee-shirt est nul'', ''être nul, c'est nul'', mais surtout, et c'est là un nihilisme clairement affiché puisque le mot ''nul'' peut signifier ''égal à rien'': ''tout est nul'', autrement dit, rien n'a de valeur).
           
 
 
            
 
            Nous pouvons donc conclure que Bart a besoin des interdits et d'amour pour forger son identité. Sans limites, il risque de ne plus trouver de sens à sa vie, car il ne vit que pour être un ''mauvais garçon''. Mais contrairement à Nietzsche le ''mauvais garçon'' de la philosophie, Bart n'a pas d'esprit créateur qui dépasse la destruction des valeurs actuelles. Il est regrettable que tant de ruse, de malice, et de capacités intellectuelles (notamment pour mémoriser les langues vivantes (il a en effet de bonnes bases en brésilien, français, chinois, italien, et ...bruits d'aisselles), pour manipuler et mentir aux adultes) soient si peu exploitées. Pourquoi donc Bart reste-t-il au niveau du ''j'ai rien fait''?! Sans doute pour contraster avec Lisa, ou pour suivre inconsciemment les leçons d'Homer...
            Voici pour finir un extrait du rire diabolique de Bart, qui résume très bien l'identité du personnage (à écouter sans modération):


bart enregistre son rire

(Cliquer sur l'image pour écouter)

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* s4, Itchy et Scratchy le film
** s6, La petite amie de Bart
**** L'oeuvre de Conrad ne prend en compte que les 12 premières saisons, or le personnage a évolué, son esprit créatif s'est un peu développé.
***** L'échange, s20
***** Nietzsche, philosophie de la légèreté