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La
Vérité, le Mensonge et les Simpson |
Platon – Cocteau – Corneille – Nietzsche – Constant – Kant – Koyré – Saint-Augustin – Pascal - Rousseau Vérité – Mensonge - Ethique – Morale – Croyance – Science – Moyen, Fin – Vie |
Rechercher la vérité est un des
objectifs du philosophe: cela se voit dès l'allégorie de la caverne de Platon,
dans laquelle le soleil représente le Vrai, la lumière dans le monde
des Idées.
Mais l'analogie entre Vérité et Soleil peut nous laisser penser que la
vérité,
vue de façon trop brutale, peut nous éblouir, voire nous aveugler. Le
philosophe doit donc prendre des précautions lorsqu'il veut diffuser
une
vérité: il peut ainsi user de fictions, de récits pour faire comprendre
à son
interlocuteur une morale. Il peut même parfois avoir recours au
mensonge comme
moyen pour faire comprendre une vérité plus importante: Jean
Cocteau
indique ainsi que «le théâtre est un mensonge qui dit toujours la
vérité».
Mais les personnages de la famille
Simpson ont-ils tous l'attitude du philosophe? Certains ne
recherchent-ils pas
le mensonge? D'autres n'ont-ils pas une sainte horreur du mensonge,
même des
fictions à but didactique? Dans quelles situations mentent-ils ? Enfin
les
personnages savent-ils tous mentir: le menteur ne doit-il pas avoir
certaines
aptitudes ? Homer
ou la
simplicité
Dans sa pièce Le menteur, Corneille
montre qu'un bon menteur possède trois facultés: il a de l'imagination,
une
bonne mémoire, il a des dons de comédien. Si Homer peut faire preuve de
beaucoup d'imagination, ses dons de comédiens sont limités: il suffit
de penser
à la fois il veut cacher le fait que Lisa soit toujours vivante après
qu'un
éclair ait touché l'arbre dans lequel elle se trouvait, dans Touche
pas à ma
forêt (s12) (Marge: «Tu ne te feras pas passer pour morte,
ma petite. On
n'a jamais été très doué pour jouer la comédie dans cette famille.»).
Sa
mémoire est également défaillante, on voit régulièrement qu'Homer n'a
que
quelques bribes de souvenirs de son existence passée, et comme nous
l'avons vu
dans l'article Le vivant, Homer est un être
s'approchant très nettement
du stade animal, c'est-à-dire ne vivant qu'attaché au moment présent,
sans se
soucier de l'avenir et sans être empêché d'agir à cause du passé.
La société de Springfield a beaucoup
de difficultés à accepter le fait qu'Homer ne soit pas capable de
mentir
correctement: on ne le croit pas lorsqu'il fait la grève de la faim, on
ne le
croit pas lorsqu'il dit qu'il n'a pas harcelé la babysitter mais qu'il
voulait
simplement manger la «minus du vélo» collée sur ses fesses (Pervers
Homer,
s6). Ceci est compréhensible, car nous mentons tous, plus ou moins
fréquemment,
et environ la moitié de nos mensonges factuels sont crus par notre
interlocuteur (environ 15 % pour des mensonges émotionnels), car nous
possédons
chacun en partie les trois facultés évoquées ci-dessus. A vrai dire, le
mensonge fait partie de notre nature humaine, ce qu'Alexandre
Koyré
(russe, XXème siècle) reprend dans Réflexion sur le mensonge:
«il est
certain que l'homme se définit par la parole, celle-ci entraîne la
possibilité
du mensonge […] de sorte que le mentir, beaucoup plus que le rire est
le propre
de l'homme»*. Or, Homer ne possédant pas tous nos facultés humaines,
n'ayant
pas la même perception du monde que nous autres, ne peut user du
mensonge avec
autant d'habileté. Cela ne le réduit pas pour autant au statut animal,
car lui,
contrairement aux autres espèces, a tout de même parfois la volonté de
mentir.
Homer a tous les traits de l'homme
vrai, ceci se retrouve même sur son physique. Il est un homme simple:
simple d'esprit,
et simple à dessiner (probablement l'un des personnages de la série les
plus
simples à reproduire de mémoire, sans modèle). Son front est large,
comme nous
pouvons imaginer celui d'Aristoclès que l'on nommera Platon pour
la
largeur de son front (platus: large)***, homme dont nous connaissons le
grand
attachement à la Vérité. Il est sans plis, ''sime plex'', c'est-à-dire
«simple», comme la vérité et non multiple comme le mensonge. Homer ne
se pose
jamais de questions, il agit, il ne se complique pas la vie,
contrairement à la
majorité des hommes qui sont peut-être malades de se poser trop de
questions,
de ne pas oser se
lancer, de ne pas oser
suivre leur instinct, il ne souffre pas de cette maladie qu'est la
conscience
humaine.** Simplicité et vérité sont étroitement liées dans la pensée
occidentale héritée du christianisme: le Christ, caractérisé par des
pensées et
des actes relevant de la simplicité, se dit être «le chemin, la vérité,
la vie»
(Evangile selon Jean,
14,6); Dieu
est Dieu de vérité, il est le seul être à détenir toutes les vérités
sur le
monde qu'il a créé. (Notons
au passage à
quel point l'interdit du mensonge est souligné dans la Bible: «la
bouche qui
ment tue l'âme», «vous perdrez tous ceux qui professent le mensonge»,
le
premier péché est celui commis par le serpent lorsqu'il ment à Eve à
propos du
fruit défendu, etc.).
De manière générale, il est aisé de
voir qu'Homer est un piètre menteur: pensons au moment où il veut se
faire
passer pour M. Burns au bureau de poste (pour récupérer sa lettre dans
laquelle
il insulte son patron) dans Le sang c'est de l'argent
(s2), plan qui se
solde par un échec; pensons aussi à la fois où il joue le mari de Selma
dans Bébé
nem (s16): il faillit appeler Marge par son nom au lieu de
«Miss Octobre»,
il ne vérifie pas si le lieu est sûr pour embrasser Marge sans être
découvert,
lorsqu'il dit à Madame Who quel métier, il choisit l'un des seuls qui
puisse le
mettre en danger d'être découvert (acrobate chinois), comme s'il
voulait
inconsciemment que la vérité éclate au grand jour.
Homer se trahit toujours par des gestes
involontaires inconscients lorsqu'il ment: on voit dans Tout
un roman (s15)
que lorsqu'il dit à Marge qu'il a lu le roman de sa femme et qu'il lui
a plu
(alors qu'il s'est endormi dès les premières pages et a abandonné la
lecture),
sa pupille bouge de gauche à droite. Dès qu'Homer ment, on le voit
fréquemment
sourire nerveusement, se frotter la nuque, avoir un regard inquiet, car
il
manque d'expérience et de capacités dans ce domaine.
Homer ne sait pas non plus garder un
secret (que nous pouvons appeler un ''mensonge par omission''), soit
parce
qu'il ne peut s'empêcher de se vanter (d'être Monsieur X, de connaître
Alec
Baldwin, Kim Bassinger et Ron Howard), soit parce qu'il est incapable
de rester
discret (par exemple, dans l'équipe des nuls, s18,
en parlant au
révérend Lovejoy: «Et
rappelez-vous... [Tout bas] Les
secrets les plus intimes
sont bien gardés avec moi... [Il hurle]
Bon ! Qui d’autre a des pannes au lit !?»), soit parce qu'il est trop
excité à
l'idée de diffuser une idée, telle que le fait qu'il y ait des millions
de
dollars enterrés sous un grand T dans Erreur sur la ville (s5) (bien
que ceci
sera finalement un mensonge), soit tout simplement parce qu'il est trop
naïf: il
fait trop confiance en la capacité d'autrui à garder un secret, si bien
qu'il
s'y fie très facilement, comme dans Beau comme un camion
(s10),
lorsqu'il révèle aux passagers d'un bus le secret des routiers: leur
système de
pilotage automatique. («Calmos
! Messieurs,
dames ! C’est le système de pilotage automatique qui conduit le camion.
Mais
c’est un secret. C’est une super combine. Pigé ?» [Il leur fait un clin d’œil. Les passagers du car
prennent des
photos]), ou dans Les secrets d'un mariage réussi (s5), où il ne sait pas garder la zone
érogène de Marge secrète, et la raconte à ses élèves et à Ned Flanders.
C'est
parce qu'Homer est simple d'esprit, qu'il a une intelligence toute
simple,
qu'il a des difficultés à mentir. Il est incapable de dissocier deux
pensées:
celle du mensonge qu'il faut dire tout haut, et celle de la vérité
qu'il faut
simplement penser. Dans Du Mensonge (chapitre III),
Saint-Augustin
nous donne une définition du menteur: «on dit du menteur qu'il a un
cœur
double, c'est-à-dire une double pensée». Selon cette définition, Homer
ne peut
être considéré comme un menteur. Un passage de Ne lui jetez
pas la première
bière (s4) illustre bien cette impossibilité à dissocier sa
réelle pensée
de ses paroles :
Homer :
Bon ! Et ben c’est l’heure d’aller bosser.
Homer dit ce qu'il pense
impulsivement, il ne sait pas contrôler ses paroles. D'ailleurs, Maggie
n'ayant
accès à la parole, nous voyons qu'elle ne sait dire que ce qu'elle
pense être
vrai (lorsqu'elle montre un objet ou une personne, elle montre ce
qu'elle pense
être cet objet ou cette personne – peu importe si celui-ci correspond
ou non à
la réalité; lorsqu'elle donne une information à ses parents – un
rendez-vous
chez le dentiste, un mal-être de Bart... - elle ne donne jamais de
fausses
affirmations): proche du mode de vie animal, et étant donné que son
langage et
sa pensée ne font qu'un, le mensonge est pour elle inconnu.
Généralement,
Maggie est très utile à Marge pour lui révéler une vérité qui dérange:
c'est
ainsi que dans Le Bleu et le gris (s22), Maggie
explique à Marge que ses
cheveux gris lui font ressembler à une grand-mère, rien qu'en montrant
le
dessin d'une femme âgée sur une boite de cornichons. Autre exemple,
dans Tennis
malice (s12), Maggie se bouche les oreilles au supermarché
pour éviter
d'entendre les moqueries des Springfieldiens concernant le piètre
niveau des
Simpson au tennis. Par ce simple geste, elle attire l'attention de
Marge, qui
entend aussitôt les commérages, et se rend compte de la triste réalité. «Aime le
mensonge !»
Homer dit avoir «faim de
vérité», comme il l'indique sur son panonceau lorsqu'il fait une grève
de la
faim (s12) pour dire à tout le monde que l'équipe de football déménage
à
Albuquerque. Et quand on sait à quel point il aime manger, on ne peut
qu'être
convaincu par son amour de la vérité... Mais cet écriteau est trompeur,
car il
n'est pas rare qu'il soit attiré par les mensonges qui arrangent tout
le monde.
Lorsqu'il indique qu'il a faim de vérité, la vérité n'est en réalité
pas une
fin en soi, mais simplement un moyen pour que la population se révolte
et
empêche son équipe de quitter Springfield. Cette grève de la faim est
donc plus
motivée par des désirs égoïstes que par l'amour du Vrai. Il est en fait
rare
qu'Homer cherche à atteindre la vérité: celle-ci est bien moins
attirante que
le mensonge. Alors que la vérité est souvent douloureuse, difficile à
admettre,
le mensonge est quant à lui plus agréable, il nous berce d'illusions –
illusions nécessaires selon Nietzsche à notre vie
humaine dans une
nature hostile – il nous laisse dans un monde d'apparences comme les
prisonniers de la caverne de Platon. Cocteau affirme: «la vérité est
trop nue,
elle n'excite pas les hommes»; il est vrai que l'excitation, le désir,
l'érotisme n'existent que lorsqu'une partie du corps est couverte
(habillée,
maquillée), lorsqu'il y a une part de mystère, lorsqu'il reste quelque
chose à
dé-couvrir: le désir est moindre lorsque le corps est tout nu, ou tout
habillé
(sauf si l'on s'appelle Ned Flanders et que l'on est attiré par sa
femme
habillée en pyjama de grand-mère boutonné jusqu'au cou – cf Souvenirs
dangereux, s20). Il en est de même pour la vérité: il faut
parfois la
maquiller, la rendre plus intéressante (en ayant recours à l'ironie, à
l'hypothèse absurde, en racontant une fable, un conte, un mythe, par
exemple à
un enfant pour lui transmettre un message moral) pour la diffuser, mais
il faut
néanmoins que ce maquillage ne la cache pas entièrement, mais au
contraire la
rende plus visible; il ne doit pas éblouir, aveugler, mais simplement
mettre en
lumière la vérité.
Alors qu'Homer aime le mensonge, il
n'aime pas qu'on lui mente: c'est là un paradoxe qui nous concerne
tous. Homer
le montre par exemple dans le blues d'Apu (s5):
lorsque le gérant du
mini-marché, qui a perdu son travail, chante qu'il peut très bien s'en
passer
et qu'il est heureux ainsi, et qu'Homer l'entend pleurer sur le toit,
il
s'exclame, énervé: «Hé mais c'est qu'il est pas du tout heureux, il
nous a
chanté des bobards. J'aime pas quand les gens ils font ça».
Les habitants de Springfield, comme
nous tous, aiment les mensonges qui arrangent tout le monde. Nous
pouvons en
citer quelques-uns: –
Armine
Tamzarian, qui se fait appeler Seymour
Skinner, ce qui arrange toute la communauté, en particulier lui-même et
sa mère
(quant au véritable Seymour Skinner, le seul pour qui la situation
n'est pas
acceptable, on s'en débarrasse) (Le principal principal, s9) –
l'ensemble
des habitants faisant croire qu'un
ouragan a dévasté la ville (ruinée), pour obtenir un dédommagement (Colonel
Homer, s19) –
Boule
de neige V, se fait appeler Boule de neige
II (Lisa: «on fera comme si toute cette histoire n'avait jamais eu
lieu»,
évoquant les 3 morts successives de chats). En prime, cela fait
économiser le
prix d'un nouveau plat pour le chat ! (Roboflop, s15) –
Lisa
refuse de révéler la vérité sur Jebbediah
Springfield, qui était en réalité un escroc, parce que l'image fausse
que s'en
font les Springfieldiens fait ressortir le meilleur d'eux-mêmes, en
s'identifiant à ce personnage mythique. (Le vrai faux héros
(le titre
est clair!), s7) –
enfin
l'exemple le plus parlant, celui qui
résume le mieux les buts recherchés par chaque membre de la famille
Simpson, se
trouve dans Le rap de Bart, s16. Bart fait croire
qu'il a été kidnappé,
le chef Wiggum semble avoir enfin réussi une affaire en découvrant que
c'est
Kirk Van Houten le kidnappeur. Un mensonge qui arrange Bart car cela
l'empêche
d'être puni pour être allé voir un concert de Fifty cent, qui arrange
Homer
parce qu'il a acheté les droits de l'histoire de Bart à des
producteurs, le
père de Milhouse qui se retrouve en prison ce qui est pour lui une vie
plus
agréable que dans son appartement miteux, le chef Wiggum qui est promu
pour
avoir élucidé l'affaire. Bart
:
Hé attendez, pourquoi il faudrait qu'on se sente
coupable, on a fait de mal à personne. Ce mensonge rend tout le monde
heureux.
Nous voyons clairement dans ce
passage que Lisa recherche la vérité (à la fois par vertu et par
intérêt
scientifique), tandis qu'Homer et Bart recherchent tous deux le
mensonge pour
la situation réconfortante et agréable qu'il procure. Marge, en bonne
chrétienne, veut éduquer ses enfants en leur faisant comprendre que le
mensonge
est un mal absolu, un interdit. Elle a réussi à leur inculquer le
manichéisme
de la Bible: la vérité est le bien, le mensonge est le mal. Ainsi, Lisa
a
choisi la «bonne voie» selon la doctrine chrétienne, tandis que Bart a
choisi
volontairement la mauvaise. Bart aime braver les interdits, il excelle
dans
l'art de la transgression, et comme Lisa lui fait remarquer, il se
définit
lui-même comme un rebelle (Bart, enfant modèle, s5).
L'interdit du
mensonge est donc pour lui, un appât très tentant. C'est le cas de
beaucoup
d'entre nous: l'interdit représente l'inconnu, le mystère que nous
voulons
toujours découvrir. N'êtes-vous pas tenté de voir ce qu'il y a dans une
boîte
sur laquelle est écrit «ne pas ouvrir», de lire un dossier où il est
écrit «ne
pas lire», ou, si vous avez des tendances criminelles comme le Serpent,
n'avez-vous pas envie de voler le trampoline d'Homer simplement parce
qu'il y a
un cadenas dessus (alors qu'Homer veut s'en débarrasser)?
S'il y a un personnage qui adore
dépasser les interdits, et est très doué pour le mensonge, c'est sans
aucun
doute Bart. Bart est très bon comédien, il aime se «travestir», se
déguiser (en
femmes ou en super-héros) comme il aime «travestir» les faits, mais
surtout il
sait manipuler les personnes qui l'entourent, qu'il les connaisse ou
pas, se
faire passer pour d'autres personnes (Timmy O'Tool, Woodroe le
correspondant de
Mme Krapabelle, Skinner, Homer au téléphone, le docteur Bart au
téléphone
etc.). Il aime et sait mentir, car il comprend facilement la
psychologie des
adultes, et qu'il a une grande maîtrise de son langage. Pour un enfant
de dix
ans, il a parfaitement compris comment réagissent les clients en
apprenant
qu'une banque n'est plus solvable: il parvient ainsi en imitant des
voix à
créer l'émeute dans la banque (Il faut Bart le fer tant qu'il
est encore
chaud, s6); il a également compris les rapports de force
existant entre les
professeurs et le proviseur Skinner et réussit à créer et faire durer
une grève
des profs (même épisode). Il est un expert en communication (condition
essentielle au mensonge), et sait faire vibrer la corde sensible des
gens, la
preuve dans Le journal de Lisa Simpson (s9), dans lequel Bart parvient
à
attirer le téléspectateur par des mélodrames démagogiques, persuasifs,
émouvants, dont il se fiche éperdument en réalité. Bart peut être malin
quand
il s'en donne la peine, ce qui lui permet de faire des tas de bêtises –
qui
requièrent des mensonges plus ou moins importants - comme la
destruction des
cadeaux de Noël et du sapin en faisant croire que la famille a été
cambriolée (Noël
d'enfer, s9), la canette de bière explosive destinée à Homer (Poisson
d'avril, s4),
ou l'organisation de
tout un faux mariage (Fugue pour menottes à 4 mains,
s15) ! Bart est
doté d'une dunamis (puissance) pour mentir – ce qui fait de lui un
menteur -
contrairement à Homer, mais il arrive pourtant que les gènes des
Simpson
agissent, et où on découvre facilement le mensonge de Bart parce que
celui-ci
n'a pas su prendre toutes les précautions: il colle «propriété de Bart
Simpson»
sur le talkie walkie qu'il met dans le puits pour faire croire qu'un
garçon
nommé Timmy O'Tool est tombé dedans, il écrit BART en grandes lettres
en
faisant brûler le gazon de l'école (alors qu'il n'y a pas d'autres Bart
dans
l'école!).
Marge et
Lisa : de la morale à l'éthique
Là où Bart
use du mensonge pernicieux (mendacium pernicosum, autrement dit
malveillant ou
nuisible), Marge et Lisa luttent pour la vérité. Dans les cas où elles
ne
préfèrent ne pas la dire, elles ont recours au mensonge «blanc»
(mensonge pour
ne pas faire de peine) ou au mensonge officieux (mendacium officiosum):
le
mensonge utile ou bienveillant. ******
Le menteur n'a pas nécessairement l'intention de nuire (voluntas
nocendi) ou de
tromper (voluntas fallendi) : s'il raconte une fiction,
celle-ci peut
avoir pour fin le simple divertissement, ou l'énoncé d'une vérité.
Marge est probablement la Simpson la
plus «humaine», au sens où son esprit est le moins caricatural, et le
plus
complexe. Marge croit fortement aux valeurs chrétiennes, donc à la
haine du
mensonge. Elle suit aveuglément les préceptes enseignés par sa
religion, sans
chercher à connaître leurs conséquences dans la vie pratique. Marge
suit une
morale, c'est-à-dire des devoirs, des commandements qui décident de ce
qui est
bien ou mal, sans juger personnellement la valeur de ceux-ci; et non
une
éthique (= réflexion sur l'agir humain qui met en jeu une compréhension
des
situations, des orientations des délibérations, une sélection des
conduites et
des modes d'évaluation).
Au nom du «tu ne porteras pas de
faux témoignage» du Décalogue, et des croyances populaires telles que
«les
mensonges font de la peine au p'tit Jésus» (Rod, dans Homer
aime Flanders,
s5), Marge refuse le mensonge, en toutes situations. On le voit dans Toute
la vérité, rien que la vérité, dans lequel Marge prend très à
cœur cette
phrase que le témoin doit dire au tribunal, après avoir été rongée de
culpabilité par les paroles trompeuses de son fils et de son mari. La
franchise
de Marge empêchera la famille d'obtenir un million de dollars de
dédommagement
de la part de Monsieur Burns! On voit aussi à quel point Marge n'aime
pas
mentir dans Marge Business, lorsqu'elle devient
agent immobilier: elle
est incapable de «vendre» les maisons à ses clients en racontant des
mensonges.
Lorsqu'elle cache aux Flanders que l'ancienne résidente de la grande
maison
qu'elle leur a vendu a été assassinée, elle ne peut s'empêcher d'aller
voir
s'ils vont bien et de leur dire la vérité. Elle va même jusqu'à
racheter sa
conscience en lui rendant le chèque donné par Ned Flanders lorsqu'Homer
détruit
accidentellement la maison (alors qu'un vendeur aux dents de requins ne
l'aurait jamais rendu). Lionel Hutz, son chef, lui explique que pour
faire ce
métier «il y a vérité [en fronçant les sourcils et faisant non de la
tête] et
vérité! [d'un air beaucoup plus enthousiaste et souriant]».
Mais
quel sens donner à cette seconde version de la «vérité», c'est-à-dire à
une
vérité embellie, si maquillée qu'elle donne une idée différente de la
réalité
du concept, une vérité dite dans le but de tromper ? Est-ce encore de
la
vérité? En cette seule phrase, Lionel Hutz pose le problème de la
définition du
mensonge: n'est-il qu'un énoncé faux, non conforme à la réalité, ou
est-il un
énoncé ayant pour intention de tromper? Quel rôle accorder à la volonté
dans la
définition du mensonge? Dans un passage plus difficile à comprendre
(prenez
votre temps pour le lire, phrase par phrase), Léonard Nimoy nous livre
ce même
problème sur la définition du mensonge et de la vérité : « L'histoire
d'extra-terrestres que vous allez suivre est vraie ! Et par "vraie"
je veux dire qu'elle
est fausse, c'est
un tissus de mensonges ! Mais de mensonges divertissants ! Et
au fond n'est-ce pas
ça la vérité vraie ? La
réponse est : non !» (Aux frontières du réel, s8 (introduction de l'épisode).
Ici sont
mêlées vérité ontologique (1ère phrase: l'histoire est ''vraie'' au
sens où
elle est une chose qui existe réellement) et vérité logique (2ème
phrase: les
faits que l'histoire raconte ne sont pas ''vrais''). Est également
évoqué un
type de mensonge que nous n'avons pas abordé: le mensonge joyeux
c'est-à-dire
un mensonge innocent qui n'a que pour but le plaisir, le
divertissement. Rousseau
dans la 4ème partie des Rêveries du Promeneur
Solitaire affirme:
«mentir sans profit ni préjudice de soi ni d'autrui n'est pas mentir:
ce n'est
pas mensonge, c'est fiction»; et comme l'indiquent les 2 dernières
phrases, la
fiction, ce n'est pas la vérité. (Mais on peut avoir recours à la
fiction pour
dire une vérité).
Il arrive à Marge d'agir à
l'encontre de ses valeurs (et c'est justement cela qui la rend
humaine): il lui
arrive de mentir pour éviter de blesser ou faire du mal à un proche. On
voit
par exemple qu'elle organise un match de football factice pour redonner
confiance à Bart qui avait raté un rattrapage de balle qui avait attisé
la
haine de toute la ville contre lui (L'équipe des nuls,
s18); elle fait
comme si elle n'était pas déçue de découvrir que Patty était
homosexuelle (Mariage
à tout prix, s16), elle évite de raconter la fin tragique de
la vie de
Jeanne d'Arc (et de celle de Bambi) aux enfants dans To Bart
or not to bart
(s13), elle dit à Ned Flanders (pour éviter de le blesser) qu'Homer n'a
pas pu
venir à son barbecue parce qu'il avait un travail à la centrale, alors
qu'il
est resté couché sur son canapé, dans Le palais du gaucher,
s3. Marge
est ainsi très proche de la philosophie de Benjamin Constant,
ce
philosophe ayant écrit une œuvre au titre révélateur: pour un
droit de
mentir par humanité. Constant s'oppose de manière générale au
mensonge,
mais explique que celui-ci est admis, et même nécessaire dans le cas où
le mensonge
nuirait à l'interlocuteur (par exemple dans le cas d'une personne
gravement
malade qui pourrait mourir en apprenant une vérité choquante). Il
montre ainsi
dans Des réactions politiques que «dire la vérité
n'est […] un devoir
qu'envers ceux qui ont droit à la vérité. Or nul homme n'a droit à la
vérité
qui nuit à autrui». Le mensonge serait même la condition de toute vie
en
société: «le principe moral que dire la vérité est un devoir , s'il
était pris
d'une manière absolue et isolée, rendrait toute société impossible». Kant
répondra à la thèse de Constant dans un ouvrage au titre explicite: Pour
un prétendu
droit de mentir par humanité. Selon lui, le mensonge ne peut
être justifié
par la situation. Le philosophe allemand condamne toute forme de
mensonge, (il
n'existe d'ailleurs aucun mensonge inoffensif) et insiste sur
l'exigence de
sincérité de tout homme. Selon lui, «le mensonge est l'avilissement et
comme
l'anéantissement de la dignité humaine» (Doctrine de la vertu,
II, 1,
§9).
Marge est loin d'être aussi radicale
que Kant dans sa haine du mensonge (il est d'ailleurs rare de croiser
une
personne qui le soit), et choisit parfois de mentir par «humanité».
Peut-être
suit-elle le célèbre «ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas
qu'on te
fasses à toi-même» issu de la Bible.
Enfin, nous voyons que Marge peut se
mentir à elle-même, elle préfère l'illusion à une vérité trop difficile
à
assumer, ou comme on le dit familièrement, elle se «voile la face»,
autrement
dit, elle place un voile devant elle qui l'empêche de voir en face la
réalité. Ainsi,
elle fait comme si elle
ne voyait pas Homer jouer avec sa poitrine en se regardant devant la
glace et
en disant «Femme – Homme – Femme...», elle fait comme s'il y avait ''de
la
grandeur'' dans leur famille, comme si elle avait de bonnes raisons de
vivre
avec Homer, comme si ce qui était écrit dans la Bible était à suivre au
pied de
la lettre. Faire «comme si» est bien le mode de vie de Marge: il s'agit
de
faire semblant de vivre. Marge est un personnage qui vit dans
l'illusion, dans
l'hypocrisie; ceci est directement lié à l'éducation qu'elle a reçue de
sa mère
qui lui a appris à masquer ses émotions («ce n'est pas ce que tu as au
fond du
cœur qui compte. Ce qui compte vois-tu c'est ce que tu montres aux
autres.
C'est ce que ma mère m'a appris. Il faut rassembler toutes tes idées
noires et
les refouler très très loin tout en bas, plus bas que tes genoux
jusqu'à ce que
tu marches presque dessus») (St Lisa Blues, s1),
ainsi que du camp
«Décroche-mari» dans lequel elle a rencontré Homer (Ma plus
belle histoire
d'amour, c'est toi, s15). Une éducation digne des femmes
aristocrates du
XVIIème siècle, des «précieuses» dont le mode de vie est qualifié de
«ridicule»
d'après le titre de la pièce de Molière.
Cette tendance à vivre dans
l'illusion n'est peut-être pas condamnable: Nietzsche montre
que
l'illusion est une condition nécessaire à l'action (donc à la vie, et
au
bonheur): «Tout être vivant a besoin d'être
enveloppé dans une
atmosphère, dans un voile de mystère: si on enlève cette enveloppe, si
on
condamne une religion, un art, un génie à graviter comme des astres
privés
d'atmosphère, on ne doit pas s'étonner de les voir se dessécher –
devenir durs
et stériles. Il en est ainsi de toutes les grandes choses qui ne
réussissent
jamais sans quelques illusions. […] Pour parvenir à maturation, chaque
peuple,
chaque homme même, a besoin d'un tel voile d'illusion, d'une telle
enveloppe
protectrice.» (Seconde considération intempestive)***** De même, Pascal
nous montre que le mensonge est
certes une faute morale, mais qu'elle est inhérente à notre nature
humaine,
donc inévitable, ce qui relativise la gravité du mensonge: «la vie
humaine
n'est qu'une illusion perpétuelle, on ne fait que s'entre-tromper et
s'entre-flatter» (Pensées, 100 Amour Propre).
Lisa veut
la vérité, non au nom de ses convictions religieuses, mais au nom de la
science: elle cherche une vérité scientifique. En tant qu'élève
studieuse, elle
rappelle ainsi que «L'éducation, c'est la recherche de la vérité»(Lisa
a la
meilleure note, s10). Lisa contrairement à Marge est dans une
perspective
éthique: c'est parce qu'elle juge que la vérité est nécessaire dans le
contexte
qu'il faut la chercher ou la dire, et non parce qu'on lui a inculqué
qu'il
fallait toujours dire la vérité. Bien sûr, l'éducation de Marge a tout
de même
eu une influence dans ses choix, mais Lisa sait pourquoi
il faut dire la
vérité, là où Marge sait qu'il faut dire la vérité.
Lorsqu'elle
recourt au mensonge (ce qui est très rare), ce n'est pas pour éviter
''une
vérité qui dérange''**** (elle-même ou les autres), mais au contraire
pour la
mettre en valeur: elle se fait passer pour Jake Boyman pour prouver que
les
filles sont aussi douées en sciences que les garçons, elle se teint les
cheveux
en brun pour prouver au jury que la couleur des cheveux n'a rien à voir
avec le
niveau d'intelligence, Au
fond, le but
de Lisa est proche de celui des philosophes des Lumières (XVIIIème):
éclairer
par les lumières de la raison la pensée obscure du peuple, même si –
surtout si
- ce qui est mis en lumière n'est pas agréable à regarder, dans le but
d'agir
en conséquence sur le réel ; ou proche de la définition du
philosophe
selon Platon comme médecin de la cité, qui doit user d'un
«pharmakon »
(remède) pour guérir les citoyens de la fausseté de l'âme – ce
pharmakon
pouvant également être un poison s'il est mal utilisé. (La
République,
livre III). Madeleine à la
veilleuse,
(vers 1640-45) Georges de
la Tour
Le
mensonge n'est peut-être pas nécessairement un mal absolu, si nous
dépassons
les dogmes religieux, ''par delà bien et mal'', mais seulement un mal
relatif à
la fois à la nature humaine (selon le fait que l'on considère l'homme
comme
naturellement menteur ou non), à
l'intention de celui qui ment, à l'identité de l'interlocuteur
(mérite-t-il de
connaître la vérité? Doit-on la vérité à tout le monde?) et aux
conséquences
positives ou négatives, à l'utilité. Lorsqu'elle prend la décision de
mentir ou
de dire la vérité, Lisa prend en compte son intention, les conséquences
à court
et long terme, et il est rare de la voir mentir pour des fins purement
égoïstes: ce n'est qu'au nom de fins altruistes comme la protection de
la
planète ou la parité que Lisa acceptera de mentir. Peu importe si la
vérité
n'est pas plaisante, elle choisit la voie de la sincérité. Lisa est le
personnage dont l'attitude s'approche le plus de celle du philosophe en
ce qui
concerne la recherche et la diffusion de la vérité par l'éducation du
peuple
(songeons par exemple à La chorale des pequenots,
s18 ou à Lisa s'en
va-t-en guerre, s5), d'ailleurs, elle est au cœur des
épisodes dont le but
est moral ou philosophique.
Résumons les rapports à la vérité de
chaque personnage, et l'image que nous avons traditionnellement du
mensonge et
de la sincérité dans ces tableaux:
Pour
finir, je vous laisse cogiter sur une réplique d'Homer Simpson à Marge
qui
reste pour celle-ci comme pour moi-même assez énigmatique...(s3, Impresario
de mon cœur): ''Marge, pour mentir faut être deux: un qui
ment et l'autre
qui écoute''... :) NOTES *Allusion au célèbre «Le rire est le propre de l'homme» de Rabelais dans Gargantua (repris par Bergson). ** Dovstoeïsky, Pensées du sous-sol: «la conscience est une maladie» ***source : http://cours-de-philosophie.fr/ressources/les-philosophes/platon/ **** pour reprendre le titre du film documentaire de Davis Guggenheim (2006), (avec Al Gore) mettant en valeur les problèmes écologiques planétaires et les catastrophes possibles engendrées par nos modes de vie ***** source : http://www.philolog.fr/eloge-de-lapparence-nietzsche/ ****** 4 types de mensonge selon les religions : officieux, pernicieux, blanc, par jeu/pour rire (jocosum), blanc |